La loi Pacte du 22 mai 2019 est venue consacrer une nouvelle catégorie de biens incorporels, les actifs numériques, auxquels les NFT sont parfois assimilés.

Selon l'article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier, « les actifs numériques comprennent :

1º Les jetons mentionnés à l'article L. 552-2, à l'exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l'article L. 211-1 et des bons de caisse mentionnés à l'article L. 223-1 ;

2º Toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ». Les actifs numériques sont donc regroupés en deux catégories : les jetons et, même si le terme n'est pas utilisé, les cryptomonnaies.

Les secondes se distinguent assez nettement des NFT, notamment en raison de leur fongibilité. Le rapprochement avec les jetons semble en revanche plus naturel. Selon l'article L. 552-2, « constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». L'identité terminologique, à savoir le recours à la notion de jeton, ne doit toutefois pas conduire à une assimilation hâtive. En effet, la définition du jeton du Code monétaire et financier n'a pas été pensée pour les NFT. Elle s'inscrit dans le cadre précis de la réglementation des offres publiques de jetons (Initial coin offering, ou ICO).

Ces dernières désignent « une opération de levée de fonds par laquelle une société ayant un besoin de financement émet des jetons, aussi appelés “tokens”, auxquels les investisseurs souscrivent principalement avec des crypto-monnaies. Ces jetons peuvent leur permettre d'accéder, dans le futur, à des produits ou services de cette société ». Dans ce cadre, le jeton est structurellement différent d'un NFT puisqu'il apparaît comme fongible et divisible. Il n'empêche que la définition de l'article L. 552-2 ne met pas l'accent sur cette fongibilité et qu'elle peut paraître suffisamment large pour accueillir les NFT en son sein.

L’arrivée sur le marché de l’art d’½uvres entièrement dématérialisées renouvelle la question. L’½uvre étant duplicable à l’infini, son appréhension par le droit de suite ne va pas de soi. Les technologies de blockchain permettent cependant de recréer les caractères du support matériel, en associant l’½uvre à un jeton non fongible (NFT), infalsifiable, unique et non interchangeable. L’½uvre Everydays : The First 5000 Days de l’artiste Beeple, vendue par Christie’s en mars 2021 pour un montant de 69 millions de dollars en offre un bel exemple.

Comme tout marché émergent dans le domaine du luxe, du sport et de l’art, l’univers des « NFT » n’est pas épargné par les problématiques de fraude.

Comme souvent, le droit arrivera à rebours pour réguler ce nouveau marché et dans l’intervalle, il conviendra de composer avec la législation existante afin de l’interpréter, de l’étendre et ainsi d’assurer la protection des titulaires de droits de propriété intellectuelle.

 

I. Qu’est-ce qu’un NFT (jeton non fongible) ?

Les NFT sont par définition des unités de valeur non interchangeables avec d’autres. Ils constituent une sorte de certificat numérique inscrit sur une blockchain et attestant de l’authenticité d’un bien ou d’une ½uvre, physique ou numérique.

La création d’un NFT nécessite que soit généré un « smart contract » : un programme informatique qui exécute un ensemble d’instructions ou de règles prédéfinies par le créateur du smart contract. C’est ensuite ledit smart contract qui est déployé et exécuté sur une blockchain (via un processus dit de « minting »).

Le NFT n’est donc pas l’½uvre numérique ou le produit marqué en lui-même. L’acquéreur du NFT acquiert seulement un « jeton » auquel certains droits sont associés et qui présente des caractéristiques déterminées dans le smart contract qui a donné lieu à sa création.

Ce NFT correspond donc à une sorte de certificat d’authenticité de cette ½uvre ou de cet objet, ledit certificat étant inscrit sur la blockchain et permettant ainsi, en principe, de garantir le caractère unique et l’authenticité du fichier numérique y étant associé ainsi que l’identité de son propriétaire.

Il s’agit donc de l’acquisition d’un bien incorporel : le « jeton » ou NFT. L’½uvre numérique ou le fichier numérique représentant le bien sur lequel est apposée une marque reste quant à lui stocké hors de la blockchain (sur un serveur, dans un cloud, sur un serveur décentralisé de type IPFS) et est accessible via l’URL figurant dans le smart contract.

 

II. Qui peut consentir à la création d’un NFT ?

Pour répondre à cette question, il convient au préalable de déterminer « sur quoi porte le NFT ».

Ce qui fait la valeur du NFT, c’est la communauté qu’il intéresse. Cette communauté est classiquement formée autour de la notoriété d’un artiste, d’une célébrité, d’un sportif, d’une marque de luxe, de sport, d’un jeu vidéo, etc.

Ce qui donne lieu à la création d’un NFT peut ainsi être l’image d’une personne, une ½uvre visuelle ou audiovisuelle, une création d’art appliqué (un modèle de sac à main, de chaussures, etc.) revêtue d’une marque de renommée, une bouteille de vin, etc.

Par conséquent, compte tenu de sa nature protéiforme, le NFT est susceptible de donner prise à différents types de droits : droit d’auteur, droit des marques, droit des dessins et modèles, droit à l’image.

C’est la raison pour laquelle il est indispensable de disposer des droits patrimoniaux d’auteur, du droit d’exploitation des marques ou des dessins et modèles ou des droits à l’image concernée pour pouvoir autoriser la création d’un NFT reproduisant ou renvoyant à l’« objet de droit » concerné.

C’est ce qu’ont découvert à leurs dépens les créateurs de la plateforme américaine HitPiece se décrivant comme une plateforme dédiée aux NFT musicaux. Cette plateforme a ainsi créé un très important catalogue de NFT d’½uvres musicales d’artistes très connus tels que John Lennon, les Rolling Stones. Or, la plateforme à peine lancée, cette création de NFT à partir de leur musique et sans autorisation a été massivement dénoncée par les artistes via les réseaux sociaux. La plateforme a finalement été fermée après avoir reçu une mise en demeure de la puissante Recording Industry Association of America (RIAA).

 

III. Quels droits acquiert-on lorsqu’on achète un NFT ?

L’acquisition d’un NFT ne permet d’acquérir juridiquement que les droits prévus au smart contract à l’origine dudit NFT.

Ainsi, sauf à ce que cela soit expressément prévu au smart contract, l’acquisition d’un NFT ne permet en aucun cas, d’acquérir de manière automatique ou implicite, les droits patrimoniaux

d’auteur sur une ½uvre numérique, des droits d’exploitation d’une marque, d’un dessin ou d’un modèle ou encore, un droit d’exploitation de l’image d’une personne physique.

A notre sens, les principes de droit positif en matière de cession et d’exploitation des droits de propriété intellectuelle trouvent ici pleinement à s’appliquer sans qu’il ne soit nécessaire ou indispensable que le Code de la propriété intellectuelle (le « CPI ») fasse expressément référence à la notion de « NFT ».

 

A. Le titulaire des droits de propriété intellectuelle bénéficie-t-il d’un « droit de suite » ? Le cas échéant, ce droit de suite est-il légal ou contractuel ?

  1. Le droit de suite au sens du CPI

Le droit de suite tel que défini par le CPI ne trouve à s’appliquer que s’agissant d’une ½uvre graphique ou plastique.

L’article L. 122-8 du CPI reconnaît aux auteurs d’½uvres originales graphiques et plastiques le droit de percevoir un pourcentage du prix de toute vente de l’½uvre après la première cession opérée par eux-mêmes ou par leurs ayants droit, lorsqu’un professionnel du marché de l’art intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire.

Ainsi les conditions d’application du droit de suite au sens de l’article L. 122-8 du CPI peuvent être résumées comme suit :

Il doit porter sur une ½uvre graphique ou plastique telles que des tableaux, collages, peintures, dessins, gravures, estampes, lithographies, sculptures, tapisseries, céramiques, verreries ou encore photographiesCette liste n’est pas exhaustive et la jurisprudence admet que le droit de suite s’applique aux ½uvres d’arts appliqués .

En outre, l’article R. 122-3 du CPI prévoit expressément que donnent prise au droit de suite les « créations plastiques sur support audiovisuel ou numérique dans la limite de douze exemplaires ».

Seule la revente de l’original d’une ½uvre graphique ou plastique donne prise au droit de suite.

Ce droit de suite s’exerce dès la première revente qui intervient à la cession initiale de l’½uvre originale par l’artiste, sous réserve que cette vente fasse intervenir un professionnel du marché de l’art. Les ventes entre particuliers sans intervention d’un professionnel du marché de l’art ne donnent donc pas lieu à l’application du droit de suite.

Le prélèvement du droit de suite sur le prix de revente s’applique dès lors que ce prix excède 750 euros. Le taux est dégressif, le montant étant plafonné à 12 500 euros.

Il est en outre utile de rappeler que le droit de suite est d’ordre public et que s’agissant d’un droit inaliénable, l’auteur ne peut ni le céder ni y renoncer.

Ainsi, l’application de ce droit tel que prévu par l’article L. 122-8 du CPI devrait a priori trouver à s’appliquer en cas de revente d’un NFT associé à une création plastique sur support numérique par le biais d’une plateforme ou, comme cela semble désormais possible, par le biais d’une vente publique aux enchères.

L’application de ce droit devrait également être automatique dès lors que le NFT créé porte sur une ½uvre plastique.

Mais que se passe-t-il si le smart contract en cause n’y fait pas référence ? Dans ce cas, le versement de ce droit ne sera pas automatiquement réalisé par l’inscription d’une nouvelle transaction portant sur la revente du NFT sur la blockchain concernée. Cependant, l’auteur bénéficiera de la transparence et de la traçabilité des transactions successives pour requérir l’application de ce droit.

 

  1. Le droit percevoir des redevances sur les reventes successives aménagées contractuellement par les smart contracts

En matière de NFT, il est fait référence de manière récurrente à l’existence d’un « droit de suite » mis en place sur les plateformes de création et de vente de NFT, telles que Opensea, Rarible, Nifty Gateway, etc.

Or, comme nous l’avons vu précédemment, un NFT peut porter sur d’autres « objets de droit » que sur des ½uvres au sens du Code de la propriété intellectuelle.

Ainsi, l’usage de la notion de « droit de suite » pour en réalité faire état d’un droit aménagé contractuellement prête à confusion. En effet, il s’agit là d’un droit purement contractuel de percevoir des redevances sur les reventes successives. Ce droit est prévu au smart contract à l’origine du NFT et ce, peu important que le NFT porte sur une ½uvre, sur un dessin et modèle, sur un produit marqué ou sur tout autre objet/élément non couvert par un droit de propriété intellectuelle.

L’avantage de la technologie blockchain est qu’elle permet d’assurer une traçabilité de ces reventes successives du NFT et d’assurer une forme d’automaticité du reversement de ces redevances au titulaire des droits (au sens contractuel du terme).

Mais cette prérogative contractuelle est bien différente du droit de suite de l’article L. 122-8 du CPI dont l’application est légalement limitée.

Peut-on alors imaginer que les auteurs d’½uvres plastiques sur support numérique seraient en droit de réclamer le cumul du droit de suite légal prévu par l’article L. 122-8 du CPI avec le « droit de suite contractuel » prévu dans le smart contract si rien n’est spécifié ? La jurisprudence aura sans nul doute l’occasion de trancher cette question, mais, selon nous, rien ne s’y opposerait à notre sens.

 

B. La revente du NFT donne-t-elle prise à un droit de distribution ou de communication au public ?

La revente d’un NFT portant sur une ½uvre protégée par le droit d’auteur relève-t-il du droit de distribution ou du droit de communication au public ?

Cette question est importante pour déterminer si le propriétaire acquéreur d’un NFT est libre d’en assurer la revente ou s’il devrait plutôt prendre la précaution de requérir l’autorisation préalable du titulaire des droits d’auteur.

Dans le monde corporel, la règle de l’épuisement du droit de distribution (art. L. 122-3-1 du CPI) veut que le titulaire de droits de propriété intellectuelle perde toute possibilité d’invoquer lesdits droits pour s’opposer à la libre circulation d’un exemplaire de son ½uvre (livre, CD, DVD, poster, etc.) dès lors que le bien en cause a été commercialisé et mis sur le marché par le titulaire du droit ou avec son consentement au sein de l’Espace économique Européen.


  • La question s’est posée de savoir si cette règle pouvait être librement transposée au monde numérique.

Dans l’arrêt Usedsoft, la CJUE a répondu à la question de savoir si l’utilisateur d’un logiciel pouvait librement revendre la copie de la licence qu’il a acquise licitement, à d’autres utilisateurs. La Cour, par une décision très critiquée par la doctrine française, a répondu par l’affirmative. Elle a considéré que l’éditeur de logiciels n’est plus en mesure de s’opposer à la revente de la copie de ses logiciels, ses droits d’auteurs susceptibles d’y faire obstacle, devant être considérés comme épuisés par la première mise à disposition de la copie. Cette décision était rendue sur le fondement de la Directive 2009/24/CE concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur.

Dans l’arrêt Tom Kabinet, la CJUE a cette fois adopté une position différente concernant la revente d’occasion d’ebooks dématérialisés en considérant que la notion de droit de distribution ne s’appliquait qu’aux objets tangibles et relevait du droit de « communication au public » prévu par la directive 2001/29/CE.

Cette solution se fonde sur le fait que dans l’univers numérique, les fichiers contenant l’½uvre se transmettent par le biais d’une reproduction et que les copies numériques dématérialisées, à l’inverse des livres sur un support matériel, ne se détériorent pas avec l’usage de sorte que les copies d’occasion constituent des substituts parfaits des copies neuves. Ainsi, le détenteur du fichier incluant une ½uvre peut en revendre une parfaite copie sans pour autant se dessaisir de son propre fichier initial.

Dans cet arrêt, la CJUE a pris le soin de préciser qu’il ne s’agit pas d’un revirement par rapport à l’arrêt UsedSoft, mais que les deux directives en cause aboutissent en réalité à des solutions distinctes. Ainsi, seuls les biens dématérialisés entrant dans le champ d’application de la directive sur les programmes d’ordinateur sont susceptibles d’épuisement.


  • Concernant les NFT, la question n’est pas simple à trancher pour deux raisons.

Tout d’abord, car certains NFT sont associés à la fois à une ½uvre numérique, mais également à un bien corporel. Par exemple, le groupe de rock Kings of Leon a lancé la commercialisation de NFT permettant d’accéder à la fois à l’écoute de son dernier album, mais aussi de bénéficier de places de concert. Or, il ne fait aucun doute qu’une place de concert une fois acquise peut librement être revendue, car relevant de la qualification d’objet tangible.

Ensuite, s’agissant des NFT portant uniquement sur une ½uvre numérique, l’importante nouveauté apportée par cette technologie est que le NFT permet de garantir l’authenticité et l’unicité de l’½uvre numérique à laquelle il renvoie via une URL (l’½uvre étant stockée hors chaîne sur un serveur ou via un stockage décentralisé de type IPFS). Ainsi, à la différence de la copie numérique classique d’une ½uvre que tout à chacun pouvait aisément réaliser sans qu’il ne soit ensuite possible techniquement de distinguer la copie de l’original, le NFT permet de garantir cette unicité du fichier numérique.

On pourrait donc vraisemblablement considérer que la vente d’un NFT, par les garanties qu’apporte la technologie blockchain, est assimilable à la vente d’un exemplaire matériel dans la mesure où il s’agit de la vente d’un jeton unique non fongible, lequel donne lieu à une dépossession du créateur du NFT tant du jeton en lui-même que du support fichier de l’½uvre numérique dont l’authenticité est traçable.

Cependant, le doute est permis sur l’appréciation qu’en fera la jurisprudence au regard de ce qui avait été retenu dans l’arrêt Tom Kabinet, la Cour considérant que « l’intention à la base de la proposition de directive 2001/29/CE était de faire en sorte que toute communication au public d’une ½uvre, autre que la distribution de copies physiques de celle-ci, relève non pas de la notion de « distribution au public », visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, mais de celle de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive ». 

 

Sources :

Aurore SAUVIAT (Avocate IP, Digital & Data DPO Certifiée IAPP)

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000020085905#:~:text=Les%20oeuvres%20exécutées%20en%20nombre,autre%20manière%20par%20l%27auteur.

https://www.doctrine.fr/d/TGI/Paris/2011/FR7DD8EBAF9403032AE437

https://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?num=C-128/11&language=FR

https://curia.europa.eu/juris/liste.jsf?language=fr&td=ALL&num=C-263/18