Un lotissement est créé par deux colotisseurs qui prévoient dans l’acte authentique initial une cession gratuite des voiries et de l’aire de jeu au travers une stipulation pour autrui au profit de l’ASL (Association Syndicale Libre) encore inexistante à la signature dudit acte. L’ASL peut-elle revendiquer cette stipulation pour autrui pour obtenir la cession gratuite de la voirie et de l’aire de jeu ?

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en novembre 2022, par la 3ème chambre civile et qui vient aborder la question de la stipulation pour autrui quant à l’affectation d’une parcelle de voirie au sein d’un lotissement ou d’une ASL nouvellement créée.


Cession gratuite des voiries et espace de jeux au lotissement ou ASL

Cette jurisprudence rappelant que l’action en régularisation forcée d’un engagement de cession de parcelles à une association syndicale libre qui tend à faire reconnaitre le droit de propriété des voiries et parties communes par l’effet d’une stipulation pour autrui est une action en revendication imprescriptible par la stipulation pour autrui consentie à son bénéfice.

En effet, dans pareil cas, le lotissement, ou l’association syndicale libre s’est vue, une fois constituée, immédiatement conférer la propriété des parcelles objets de la stipulation, et ce, avant même la régularisation de la cession par acte authentique.

Effectivement, cette jurisprudence aborde le cas fréquent d’une création d’ASL ou de lotissement avec un certain nombre de lots privatifs qui sont classiquement vendus en premier, et pour lesquels une voirie est prévue, laquelle voirie est livrée in fine, lorsque le lotissement est finalement achevé.

L’acte de cession des différents lots prévoyant bien souvent que l’ASL sera bénéficiaire du lot de voirie sous réserve de la réitération de l’acte, classiquement à la fin du programme, lorsque l’ensemble des lots privatifs sont terminés et qu’il ne reste plus qu’à livrer les voiries et dernières parties communes, espaces de jeux, espaces verts….


Rappelons que plusieurs jurisprudences ont déjà été abordées par votre serviteur sur la question

La question qui se pose alors est de savoir à quel moment l’effet translatif de propriété a eu lieu et à quel moment il est possible de contraindre l’ASL à récupérer cette parcelle de voirie si celle-ci s’y refuse.

 

Quels sont les faits ?

Dans cette affaire une société X., propriétaire des parcelles contiguës, avait entrepris la réalisation d’un lotissement composé de 12 lots, suivant autorisation donnée par arrêté préfectoral.

C’est ainsi que par acte notarié dressé le 25 septembre 1981, et publié le 23 décembre suivant, ils ont procédé à un échange de parcelle afin de constituer des lots réguliers avec un état descriptif mentionnant les terrains qu’ils s’engageaient à céder à titre gratuit à la future association syndicale libre, constituée en 1985, pour accueillir une nouvelle voie de desserte, un lot de voirie sur les parcelles en question ainsi qu’une aire de jeu sur une autre parcelle.

Et ce, moyennant le versement d’une indemnité de 200 000 francs par la société LE VILLAGE AVW, propriétaire de la majeure partie des terrains concernés.

L’acte notarié portait sur un échange de terrains entre les deux co-lotisseurs, la SCI L. d’un coté, et Monsieur W. de l’autre coté,

L’acte intégrait une clause intitulée « indemnité » au profit de Monsieur W. pour la partie de terrain qui sera cédée par lui gratuitement à l’association syndicale libre, clause selon laquelle la majeure partie du sol de la voie nouvelle et la totalité de l’aire de jeu se trouvaient en totalité sur le terrain appartenant à Monsieur W.

 

Un échange de terrains pour la voirie et l’espace de jeux

Il est versé par la SCI L. audit Monsieur W., à titre d’indemnité, la somme de 200 000 francs, l’acte prévoyant bien, concernant l’état descriptif de division précisant que les lots 7 à 12 appartenant à Monsieur W. et que la voie nouvelle et l’aire de jeu qui appartiennent également à Monsieur W. seront cédées par lui gratuitement à l’association syndicale libre.

C’est en ce sens qu’il avait été fait injonction par la suite à Monsieur W. de se présenter devant le notaire afin de régulariser l’acte de cession des parcelles en question au profit de l’association syndicale libre dans les conditions initialement prévues à l’acte notarié d’échange du 25 septembre 1981 précité.

Ladite injonction prévoyant qu’à défaut d’exécution un prêt sommation de l’injonction susvisé dans les 3 mois suivant cette sommation, un jugement aux fins de vente sera publié au service des hypothèque compétent à la diligence de l’association syndicale libre.

L’acte authentique disposait que Monsieur W. cédait à titre d’échange en s’obligeant à toutes les garanties ordinaires et de droit en pareil matière à la SCI L., ce qui est accepté par elle, les parties de terrain d’un contenant total de 622 m2.

En contrepartie le gérant de la SCI L. cède à Monsieur W. qui accepte les parcelles en litige, l’acte ajoutant que les échangistes seront propriétaires des terrains présentement échangés à compter de ce jour et ils auront la jouissance, à compter également de ce jour, par la prise de possession réelle effective, lesdits biens étant libres de toute location occupation ou réquisition.

Le même acte d’échange du 25 septembre 1981 prévoyant aussi un article consacré à l’évaluation des terrains échangés soulignant que l’échange en question a lieu sans soulte.

Ainsi, les parcelles de l’ASL relatives à la voirie et à l’espace de jeu, faisaient donc bel et bien partie intégrante du projet de lotissement puisqu’il figurait déjà dans le document intitulé « profil de la voie nouvelle » visant expressément les parcelles en question comme étant des parties cédées à l’association syndicale libre, le cahier des charges de l’association syndicale libre précisant en son article 2 qu’il y a lieu d’ajouter à la surface totale celle de la voie nouvelle et celle de l’aire de jeu.

Il en allait également de même du règlement régissant le lotissement, prévoyant également, à travers un renvoi à la minute de l’acte notarié, que la surface de l’aire de jeu sera utilisée par les propriétaires riverains de la voie et ne sera en aucun cas cessible.

 

Un règlement de lotissement prévoyant l’existence d’une voirie et d’une aire de jeu

C’est dans ces circonstances que la SCI L. stipulant pour autrui a obtenu de Monsieur W. l’engagement de céder à l’ASL gratuitement lesdites parcelles en contrepartie desquelles il lui avait été versé immédiatement la somme de 200 000 francs.

 

Quel est la stipulation pour autrui ?

Le fait que l’ASL n’ai pas eu d’existence lors de cette stipulation pour autrui est sans incidence sur la validité de celle-ci dès lors que l’ASL était aisément identifiable.

 

Une stipulation pour autrui profitable à l’ASL ?

La difficulté est que Monsieur W., quant à lui, s’est par la suite opposé à cet échange et à la rétrocession de la voie de desserte et de l’aire de jeu au profit de l’association syndicale libre.

En effet, le 27 novembre 2015, l’ASL avait assigné Monsieur W. en régularisation forcée de la cession à son profit des parcelles litigieuses, à savoir la voie de desserte et l’aire de jeu.

Monsieur W. s’est alors pourvu en cassation en soulevant deux moyens.

 

La régularisation forcée d’une cession gratuite au profit de l’ASL ?

Premièrement, il considérait que l’action engagée par celui-ci qui se prévaut d’une stipulation pour autrui est une action personnelle assujettie à une prescription de droit commun de 5 ans,

Ce dernier considérant que l’ASL avait assigné Monsieur W. le 27 novembre 2015 aux fins qu’il soit dit que l’acte notarié d’échange du 25 septembre 1981 comportait une stipulation pour autrui en sa faveur, l’acte prévoyant que les partages litigieux seraient cédés gratuitement par Monsieur W. à l’association syndicale libre, de telle sorte qu’en considérant que l’action introduite par l’ASL tendait à faire constater son droit de propriété sur les parcelles litigieuses et présente donc un caractère imprescriptible tout en retenant que l’acte notarié du 25 septembre 198 comportait une stipulation pour autrui au bénéfice de l’association syndicale libre lui avait conféré ainsi un droit direct à l’encontre de Monsieur W. de nature à lui permettre de revendiquer la propriété des parcelles litigieuses.

 

Quelles sont les conditions de la stipulation pour autrui ?

Deuxièmement, Monsieur W. soutenait que la revendication était une action par laquelle le demandeur, invoquant sa qualité de propriétaire, réclame à celui qui le détient la restitution d’un bien.

Monsieur W. considérait que la Cour avait violé l’article 2227 du Code Civil en considérant que l’action engagée par l’ASL qui comportait une stipulation pour autrui au bénéfice de l’association syndicale libre lui ayant conféré un droit direct envers Monsieur W. est une action en revendication immobilière imprescriptible alors que l’ASL ne réclamait pas la restitution du bien.

Toujours est-il que la Cour d’Appel a retenu, à bon droit, que l’action en régularisation forcée de la cession engagée par l’ASL tendait à faire reconnaitre le droit de propriété qu’il avait cédé à celle-ci par l’effet de la stipulation pour autrui consentie dans l’acte d’échange.

La Cour déduisant que cette action en revendication était imprescriptible et par la même, recevable.

Monsieur W. venait critiquer l’acte notarié du 25 septembre 1981 qui portait sur un échange de terrains entre les deux co-lotisseurs.

En effet, Monsieur W. considérait que cet acte qui se borne à faire état d’une cession future ne transfère pas la propriété des parcelles litigieuses à l’association syndicale libre, d’autant plus que, pour ce dernier, un tel transfert était au demeurant impossible, l’association syndicale libre n’étant pas alors constituée à la date du 25 septembre 1981.

De telle sorte qu’il faisait grief à la Cour d’Appel d’avoir retenu qu’il y avait lieu de faire injonction à Monsieur W. de se présenter devant le notaire désigné aux fins de régulariser l’acte de cession des parcelles litigieuses, qu’à défaut de réitération la vente serait alors judiciaire puisque l’acte notarié du 25 septembre 1981 emportait clairement les stipulations pour autrui au bénéfice de l’ASL.

Monsieur W. faisait également grief à la Cour d’avoir dénaturé l’écrit qui lui était soumis.

 

Vente ou cession gratuite des lots de voirie et d’espace verts

En effet, ce dernier soutenait que c’est à tort que la Cour d’Appel avait fait injonction à Monsieur W. de se présenter devant le notaire désigné aux fins de régulariser l’acte de cession des parcelles litigieuses et qu’à défaut d’exécution la décision vaudrait vente alors que l’acte notarié ne faisait nulle mention d’une vente mais d’une cession gratuite à intervenir des parcelles litigieuses au profit de l’association syndicale libre.

Fort heureusement, la Cour de cassation ne partage absolument pas cette analyse.

 

Quels sont les effets de la stipulation pour autrui ?

La Haute juridiction vient effectivement valider cette stipulation pour autrui aux fins de cession gratuite des parcelles litigieuses notamment de la voie de desserte et de l’aire de jeu au profit de l’association syndicale libre, quand bien même celle-ci n’avait pas encore d’existence légale au jour où la stipulation pour autrui avait été prise.

En effet, la Cour de cassation considère que l’engagement de céder à titre gratuit les parcelles litigieuses à la future association syndicale libre, tel qu’il ressort de l’acte d’échange du 25 septembre 1981, pour permettre justement la réalisation du lotissement constituait une stipulation pour autrui dont cette dernière était le bénéficiaire identifiable, de telle sorte qu’une fois constituée l’association syndicale libre ASL s’était vue immédiatement conférer la propriété de ces parcelles avant même la régularisation de la cession par acte authentique.

La Cour de cassation rappelle plusieurs fondamentaux.

Premièrement, que le droit de propriété ne s’éteint pas par le non-usage.

L’action en revendication n’est pas susceptible de prescription.

L’action introduite par l’ASL tendant à voir constater son droit de propriété sur les parcelles litigieuses présente donc un caractère imprescriptible, son exercice n’étant pas enfermé dans le délai de prescription extinctif trentenaire de telle sorte que l’ASL était parfaitement recevable et n’était pas prescrite à engager cette action.

Ainsi, ce transfert des parcelles à l’ASL faisant partie intégrante du projet de lotissement puisqu’il figurait dans le document intitulé « profil de la voie nouvelle » qui vise expressément les parcelles en question concernant la voie de desserte et l’aire de jeu comme étant des parties cédées à l’association syndicale libre.

La Haute juridiction soulignant que la voie de desserte ainsi que les surfaces de l’aire de jeu, faisaient partie de l’économie générale du projet du lotissement.

C’est donc à cette fin que la SCI L. stipulant pour autrui a obtenu de Monsieur W. l’engagement de céder à l’ASL gratuite de la voirie ainsi que de l’aire de jeu en contrepartie duquel il lui avait d’ailleurs été versé immédiatement une somme de 200 000 francs à titre d’indemnité.

 

Une stipulation pour autrui au profit d’une ASL inexistante au jour de la signature

Le fait que l’ASL n’ait pas d’existence lors de cette stipulation pour autrui est sans incidence sur la validité de celle-ci dès lors que l’ASL était aisément identifiable.

Cette stipulation au bénéfice de l’ASL lui a donc conféré un droit direct envers Monsieur W. de nature à lui permettre de revendiquer la propriété des parcelles litigieuses.

En conséquence, il y avait lieu d’accueillir la demande formée à l’ASL et de faire injonction à Monsieur W., soit de régulariser l’acte de cession des parcelles en question avec les conséquences de droit qui s’y rattache, à défaut d’exécution, après sommation de cette injonction, la décision de justice rendue peut valoir vente afin d’être publiée au service de la Publicité Foncière compétent à la diligence de l’ASL.

Cette jurisprudence est intéressante, elle rappelle que l’action en régularisation forcée d’un engagement de cession de parcelle à une association syndicale libre qui tend à faire reconnaitre le droit de propriété cédé à elle par l’effet d’une stipulation pour autrui est une action en revendication imprescriptible par la stipulation pour autrui consentait à son bénéfice l’association syndicale libre s’est vue, une fois constituée, immédiatement conférer la propriété des parcelles objet de la stipulation avant même la régularisation de la cession par acte authentique.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE

Avocat à Fréjus

Avocat à Saint-Raphaël

Docteur en Droit