Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence le 8 mars 2023, n°2023/111, et qui vient à aborder la question spécifique de l’hypothèse où deux procédures de suspension judiciaire des échéances ont été abordées coup sur coup,

La suspension judicaire des échéances

Quels sont les faits ?

Par acte sous seing privé en date du 17 mars 2017, Monsieur et Madame B. ont souscrit un prêt immobilier d’un montant de 840 000 euros auprès de la banque, remboursable au taux d’intérêt annuel de 4,51 %, hors assurances, en 312 mensualités d’un montant de :

  • 3 481,85 euros sur 24 mois,
  • 3 482,45 euros sur 48 mois,
  • 5 643,31 euros sur 240 mois.

Ce prêt était accompagné d’une assurance groupe souscrite par la banque auprès d’une compagnie d’assurance couvrant Monsieur B. au titre d’un risque de décès, invalidité et incapacité de travail.

Or, Monsieur B. a cessé son activité rencontrant d’importants problèmes de santé et a été placé sous tutelle selon un jugement du Tribunal d’Instance de Nice en date du 30 juin 2016.

Par ordonnance du 18 décembre 2017, le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Nice avait ordonné une expertise médicale judiciaire visant notamment à déterminer si Monsieur B. était en état d’invalidité permanente, partielle ou totale et à déterminer le taux d’incapacité professionnelle et fonctionnelle permanente qu’il présentait en application des conditions générales du contrat d’assurance souscrit par celui-ci.

Ce qui était certain c’est que celui-ci ne pouvait plus faire face aux échéances de son crédit immobilier.

Cependant, devant l’incertitude de la prise en charge de son invalidité permanente, partielle ou totale et de l’impossibilité à ce stade de à déterminer le taux d’incapacité professionnelle et fonctionnelle permanente, la compagnie d’assurance a fait le choix de ne pas régler les échéances du prêt le temps de la procédure d’expertise.

Exposant ainsi Monsieur et madame B à des impayés d’échéances et à une déchéance du terme du prêt.

Les consorts B risquaient ainsi de tout perdre

Fort heureusement, leur conseil, votre serviteur a su leur proposer une procédure spécifique, assez peu connue d’ailleurs du grand public, et qui consiste à solliciter du tribunal la suspension judiciaire des échéances du prêt lorsque l’établissement bancaire s’y refuse, sourde aux difficultés conjoncturelles rencontrées par les emprunteurs.

Par acte d’huissier en date du 12 octobre 2020, Monsieur et Madame B. ont fait assigner, devant le Tribunal judiciaire de Nice, la banque et la compagnie d’assurance aux fins d’obtenir la suspension judiciaire des échéances du prêt conclus avec la banque le 17 mars 2017 pour un délai de 24 mois, outre la condamnation au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Une deuxième suspension judiciaire octroyée par le juge

Par jugement en date du 16 septembre 2021, le Tribunal judiciaire de Nice – service de proximité – a ordonné la suspension du paiement, par Monsieur et Madame B., des échéances du contrat de prêt immobilier, hors assurances et intérêts, contracté auprès de la banque le 17 mars 2017 pour une durée de 24 mois, à compter de la signification de la décision et a dit que pendant ce délai, Monsieur et Madame B. restent redevables des cotisations d’assurances et des intérêts contractuels au taux de 4,51 % et condamnant ainsi à verser à  la banque la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Un passage en appel

C’est dans ces circonstances que les consorts B. ont frappé d’appel la décision.

La singularité de cette affaire c’est que, nonobstant l’appel de ce jugement du 16 septembre 2021, les consorts B. avait déjà fait délivrer une première assignation afin d’obtenir la suspension judiciaire des échéances du prêt pendant une période de deux ans.

Une première suspension judiciaire des échéances ordonnée par le Tribunal en 2018.

C’est dans ces circonstances qu’un premier jugement avait été effectivement rendu par le Tribunal d’Instance de Nice le 23 octobre 2018 dans lequel le Tribunal soulignait, notamment, l’absence totale de mauvaise foi de la demanderesse et réexpliquait les circonstances de la demande suite à l’apparition de la maladie et de la procédure qui s’en est suivie.

C’est dans ces circonstances que le Tribunal d’Instance de Nice avait, dès le 23 octobre 2018, ordonné la suspension judiciaire du paiement, par les consorts B., des échéances du contrat de prêt, hors assurances, contracté auprès de la banque le 17 mars 2017 pour une durée de 24 mois, à compter de la signification de la décision, indiquant que les paiements, pendant les délais précités, s’imputeront en priorité sur le capital substituant au taux d’intérêt contractuel le taux d’intérêt légal pendant le délai de paiement précité.

Cependant la juridiction rappelait que le report de 24 mois ne concernait pas le montant des primes d’assurance qui reste dû mensuellement.

Disant encore, qu’à défaut d’un seul versement aux termes fixés des primes d’assurance, la totalité du solde restant dû deviendra immédiatement exigible.

Disant enfin que la reprise des paiements des échéances s’effectuera, passé le délai de 24 mois.

Toute la difficulté était que la procédure d’expertise liée à la problématique de prise en charge des frais de santé de Monsieur B. par la compagnie d’assurance a malheureusement perduré pendant toute cette période.

Une expertise judiciaire trop longue dépassant le délai de la suspension

L’expertise n’étant toujours pas achevée et les délais courant, les demandeurs se sont inquiétés du sort de la reprise des échéances auxquelles ils ne pouvaient immanquablement pas faire face, dans la mesure où ces derniers attendaient le rapport d’expertise pour déterminer, si oui ou non, la compagnie d’assurance avait vocation à les prendre en charge.

C’est dans ces circonstances que le Tribunal d’Instance de Nice n’avait fait aucune difficulté le 16 septembre 2021 pour ordonner une nouvelle fois la suspension judiciaire des échéances du prêt des consorts B.

Cependant, la contestation qui avait été faite par les consorts B. à hauteur de Cour consistait à critiquer la décision suivant laquelle l’intérêt contractuel a été maintenu et avait condamné, par ailleurs, les consorts B. à payer à la banque, la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Une suspension judiciaire des échéances avec ou sans intérêts contractuels ?

Dans leur recours, les consorts B. faisaient valoir qu’une ordonnance de référé avait été rendue le 10 juin 2017, dans laquelle le Juge a ordonné une expertise médicale judiciaire visant à déterminer si Monsieur B. était en état d’invalidité permanente, partielle ou totale et à déterminer le taux d’incapacité professionnelle et fonctionnelle qu’il présentait, qu’ils n’étaient pas en mesure de faire face à leurs obligations financières et qu’il serait inéquitable de les contraindre à supporter la prise en charge de l’intérêt contractuel, ceci d’autant plus qu’ils avaient engagé une action en raison de la longueur de la procédure et du comportement de la banque et de la compagnie d’assurance qui ont pris peu d’initiative pour résoudre le litige.

La banque, quant à elle, soutenait que la suspension provisoire des échéances du prêt devait être assortie d’une obligation de continuer à payer les cotisations mensuelles d’assurance car, à défaut, les emprunteurs prendront le bénéfice de leur assurance, perdraient le bénéfice de leur assurance invalidité-décès.

La banque soutenait également que la suspension provenant des échéances du prêt devait être assortie de l’obligation de poursuivre le paiement des intérêts contractuels, dans la mesure où cela permettait d’alléger la charge totale du report pour les emprunteurs puisque les intérêts seront calculés sans être prélevés et additionnés au capital restant dû où elle n’est pas responsable de la situation dans laquelle se trouvent les débiteurs.

La compagnie d’assurance, quant à elle, soutenait également que les consorts B. devaient rester redevables des intérêts contractuels et que, surtout, ils devaient régler leurs cotisations d’assurance.

La Cour d’Appel, quant à elle, rappelle que l’article L.314-20 du Code de la consommation dispose que l’exécution des obligations du débiteur peut être suspendue par ordonnance du Juge d’Instance dans les conditions prévues par l’article 1343-5 du Code civil et que le Juge qui ordonne la suspension de l’exécution des obligations du débiteur peut décider que, durant le délai de grâce, les sommes suspendues ne seront pas génératrices d’intérêt.

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L’article 1343-5 du Code civil, auquel renvoi l’article précité du Code de la consommation, dispose que le Juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

La Cour souligne que le jugement rendu le 16 septembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de Nice a ordonné sur ce fondement la suspension du paiement par les consorts B. des échéances de leur prêt pour une durée de 24 mois, ces derniers restant, cependant, pendant ce délai, redevables des intérêts contractuels au taux annuel de 4,51 %.

Or, il n’échappera pas au lecteur attentif que ni la banque, ni la compagnie d’assurance ne se sont opposés, en tant que tel, à cette nouvelle demande de suspension des échéances, alors même qu’une première avait déjà été octroyée.

Pour autant, la Cour qui ne statuera pas ultra petita et qui viendra quand même confirmer cette nouvelle demande de suspension judiciaire des échéances, précise que les dispositions du Code de la consommation que l’obligation d’emprunteur peut être suspendue pendant un délai de 24 mois.

Ce délai de suspension du remboursement des échéances du prêt ne peut donc être accordé que pour une période de deux ans maximum, non renouvelable.

Une suspension non renouvelable ?

Il n’était donc pas possible d’accorder aux époux B. un nouveau délai de suspension du paiement des échéances de leur prêt dans la mesure où un délai de 24 mois leur avait déjà été accordé par jugement du Tribunal Judiciaire de Nice – pôle de proximité – en date du 9 janvier 2018.

Pour autant, dans la mesure où le Tribunal de Proximité de Nice a ordonné une nouvelle suspension de 24 mois suivant son jugement du 16 septembre 2021 et, qu’à hauteur de Cour, ni la banque, ni la compagnie d’assurance ne s’y opposent en tant que tel, en dehors du simple débat des intérêts courants pendant la période de suspension, cette deuxième suspension judiciaire des échéances du prêt immobilier est validée et confirmée.

Ainsi, dans son arrêt, la Cour souligne qu’il résulte de tout ce qui précède que la demande des époux B., tendant à obtenir un second délai de 24 mois de suspension des échéances du prêt conclu le 17 mars 2017 avec la banque, doit être rejeté et que la demande des époux B., tendant à ce qu’ils soient dispensés du paiement des intérêts contractuels pendant un second délai de suspension des échéances du prêt, à ce que tout paiement effectué par eux pendant ce délai vienne s’imputer sur le capital restant dû et à ce qu’ils ne soient pas inscrits au fichier des incidents remboursement des crédits aux particuliers deviennent donc sans objet.

Une absence de fichage de l’incident le temps de la suspension

Même si la Cour d’Appel d’Aix-En-Provence croit bon préciser qu’une deuxième suspension judiciaire des échéances sur une première déjà prononcée ne saurait exister, il n’en demeure pas moins qu’elle ne remet pas en question, en tant que deuxième juridiction de fond, la deuxième suspension judiciaire qui avait été octroyée par la juridiction niçoise, ce qui d’ailleurs est assez cohérent dans la mesure où la Cour ne prend pas le risque de statuer ultra petita alors, qu’une fois n’est pas coutume, ni la banque, ni la compagnie d’assurance ne s’y étaient opposées en tant que tel.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit