Les libéralités sont des actes juridiques, au sens de l’article 1100-1 du Code civil, c'est-à-dire des manifestations de volonté qui produisent par elles-mêmes des effets de droit.

Ce sont parfois des actes bilatéraux, dont la formation requiert le consentement de chacune des parties. Ainsi pour les donations, qui sont des contrats.

D'autres fois, il s'agit d'actes unilatéraux, qui ne requièrent que la décision du disposant. Ainsi pour les legs, inclus dans un testament. C'est la raison pour laquelle l'article 893 du Code civil, qui définit - sans distinctions - la libéralité en général, se borne à indiquer qu’elle peut être faite par le disposant « au profit d'une autre personne », sans requérir que le gratifié ait préalablement consenti à la disposition faite en sa faveur.

Les libéralités appartiennent à la catégorie des actes de disposition. L'auteur de la libéralité (le « disposant ») y cède au gratifié « ses biens ou ses droits ». Cette cession peut s'opérer de plusieurs manières. Par acte translatif, tout d'abord, le disposant transmet au bénéficiaire ses droits sur une chose (droits réels) ou ses droits à une chose dont il est créancier (droits personnels).

Par acte abdicatif, ensuite, lorsque le disposant remet à autrui sa dette ou renonce à ses droits successoraux au profit d'un héritier de second rang. Par acte répartitif, enfin, la qualification de libéralité est traditionnellement compatible avec des opérations juridiques qui visent seulement à distribuer concrètement les biens du de cujus entre ses héritiers légaux, réservataires ou non (dons et legs rapportables, libéralités-partages…).

La Cour de cassation a même qualifié de legs la clause d'exclusion de l'administration légale des biens compris dans une succession que les enfants mineurs du de cujus avaient vocation à recueillir, dès lors que cette clause « emportait privation de la jouissance légale (de l’autre parent) » et « avait nécessairement pour effet d'augmenter les droits des mineurs sur leur émolument dans la succession (du de cujus) » (Cass. 1re civ., 11 févr. 2015, n° 13-27.586 : JurisData n° 2015-002219  ; Dr. famille 2015, comm. 75, M. Nicod).

Toutefois, la libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par le dol, lequel consiste en des man½uvres pratiquées par l’une des parties sans lesquelles l’autre partie n’aurait pas contracté (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 novembre 2020, 19-13.202).

Quelques jours après le décès de son épouse, M. V. a remis à son fils adoptif, M. D.-V., par virement bancaire du 6 août 2010, une somme de 60 000 euros et à l’épouse de celui-ci, par chèque du 8 août, une somme de 10 000 euros.

A la suite de mises en demeure restées vaines, M. V., assisté de son curateur, M. C., devenu depuis son tuteur, a, par acte du 22 juillet 2015, assigné M. et Mme D.-V. en remboursement de ces sommes.

Pour rejeter les demandes de M. V. et M. C., ès-qualités, tendant à l’annulation des dons manuels et à la condamnation de M. et Mme D.-V. à rembourser, respectivement, les sommes de 60 000 euros et 10 000 euros, l’arrêt se borne à dire non établie l’insanité d’esprit alléguée par M. V. au soutien de sa demande en annulation des dons manuels.

L’arrêt est cassé par la haute juridiction en précisant qu’« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les sollicitations pressantes et récurrentes dont M. V., fragilisé par le décès de son épouse, alléguait avoir été l’objet étaient de nature à revêtir un caractère dolosif, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Le don manuel est une forme légale de donation, « de la main à la main », d’un bien mobilier (meubles, tableaux, bijoux, etc.) ou fiduciaire (argent liquide, valeurs mobilières, etc.). Il se distingue des autres libéralités qui nécessitent un acte notarié ou sous seing privé.

Le don manuel doit être distingué du présent d’usage. Le présent d’usage peut être défini comme un cadeau fait à l’occasion de certains événements, conformément à un usage (fêtes, anniversaires, etc.), et n’excédant pas une certaine valeur (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 6 décembre 1988, 87-15.083, Publié au bulletin). D’après la jurisprudence, cette valeur ne doit pas être disproportionnée à la situation de fortune du donateur (CA Paris, 1re ch., sect. B, 11 avr. 2002, n° 2001–3791). 

Les dons manuels sont à distinguer également du prêt familial. Des sommes sont versées sur le compte bancaire d’une personne par un membre de sa famille. Quelle est la qualification de ces sommes : don manuel, prêt familial ou autre origine (par exemple la rémunération d’un travail) ?

 

I-   Pour faire une libéralité, il faut un disposant sain d’esprit

Pour qu’une libéralité soit effective, il faut que le disposant ait la volonté de s’appauvrir en faveur du bénéficiaire. Or, pour que cette volonté soit prise en compte, encore faut-il que son auteur soit sain d’esprit : « pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit » (Code civil, article 901 qui renvoi à l’article 414-1 du Code civil).

 

A)  L’insanité d’esprit

L’insanité d’esprit est une cause autonome de nullité de l’engagement (Code civil, article 901 et 414-1), qui ne recoupe pas les vices du consentement (Code civil, article 1129). L’autorité de la chose jugée, à propos d’un vice du consentement, ne peut donc être opposée à l’encontre d’une action pour insanité d’esprit et réciproquement. L’insanité d’esprit ne recoupe pas non plus exactement l’altération des facultés mentales envisagée par la loi comme source de mise en place d’un régime de protection de certains majeurs. Elle a vocation à jouer notamment lorsqu’un tel régime n’a pas été mis en place.

L’insanité d’esprit de nature à compromettre la validité d’une libéralité comprend « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée ». Elle se révèle, dans des situations concrètes, dont la diversité exclut tout classement rationnel. Tout au plus, est-il possible de les répartir en trois groupes en tenant compte des causes qui en sont à l’origine :

Ainsi, au nombre des causes psychiques et mentales de l’insanité d’esprit, figurent la démence, les états psychiques pathologiques entraînant des troubles de l’intelligence (la faiblesse d’esprit, l’imbécillité, la perte de mémoire et les passions violentes (CA Paris, 17 avr. 2008, n° 07/07129).

Par ailleurs, à l’origine de l’insanité d’esprit ont pu être aussi retenues des causes physiques, telles que les déchéances dues à l’âge ou les maladies (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 6 janvier 2010, 08-14.002, Inédit).

En revanche, le suicide (CA Caen, 11 janv. 2000, n° 98/00216 : JurisData n° 2000-128563 ; Dr. famille 2001, comm. 24, B. Beignier) ou l’altération des facultés corporelles (CA Paris 12 sept. 2000 : JurisData n° 2000-125001) ou un état de fatigue d’une personne âgée (CA Montpellier, 1er févr. 2018, n° 14/5042 ) n’ont pas été considérés comme pouvant être intrinsèquement une cause d’insanité d’esprit emportant nullité d’un acte à titre gratuit.

Enfin, l’insanité d’esprit a été admise pour des causes externes, telles qu’un état d’ébriété altérant les facultés mentales ou une suggestion hypnotique provoquant une altération de la lucidité du disposant. En revanche, il a été considéré que la morphinomanie ne pouvait être, à elle seule, une cause de nullité d’une libéralité et qu’en cas d’usage de stupéfiants ou de médicaments, il fallait établir que la drogue absorbée avait annihilé le discernement du disposant.

 

B)  Preuve de l’insanité d’esprit

La preuve de l’insanité d’esprit d’un disposant peut, en principe, être administrée par tous les moyens (attestations, expertises, témoignages, mesures d’instruction judiciaire, etc.), que la juridiction saisie apprécie souverainement (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 24 mai 2018, 17-18.465, Inédit).

Son administration peut être une source de difficultés dans la mesure où elle porte sur des faits allant à l’encontre des énonciations d’un acte authentique comportant une libéralité, ou susceptibles d’être couverts par le secret professionnel, comme le contenu d’un certificat médical (l’article 901 vaut autorisation au sens du Code pénal et décharge du secret professionnel (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 8 mars 2005, 03-12.044, Inédit). 

Il convient également de tenir compte de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 24 octobre 2012, 11-20.442, Publié au bulletin). La charge de la preuve incombe, en tout état de cause, à celui qui conteste la validité d’une libéralité sur le fondement de l’article 901.

Cas particulier du disposant placé sous un régime de protection légale. Quid du pouvoir souverain dont dispose le juge pour apprécier les moyens et éléments de preuve fournis en vue d’établir le « fait matériel » que constitue l’insanité d’esprit, lorsque le disposant, dont la libéralité est contestée de ce chef, vient à être placé sous un régime de protection légale, après avoir consenti cette libéralité, mais avant qu’il ait été statué sur la contestation dont elle est l’objet ? La jurisprudence adopte les solutions suivantes :

Le placement sous sauvegarde de justice est considéré comme n’ayant pas d’incidence, étant donné que cette mesure de protection n’entraîne pas la perte de l’exercice de ses droits (Code civil, article 435). Il reste possible d’exercer, à l’encontre d’un acte, une action en nullité pour insanité d’esprit sur le fondement de l’article 414-1 du Code civil, lequel pose lui aussi pour principe que, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit ;

Il en va de même en cas d’habilitation familiale, sauf pour les droits dont l’exercice a été confié à la personne habilitée (Code civil, article 494-8) ou aurait nécessité son assistance (Code civil, article 494-8L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 29), lequel suppose, pour les actes de disposition à titre gratuit, l’autorisation du juge des tutelles (Code civil, article 494-6) ;

Quand le disposant est placé sous le régime de la curatelle, il est admis que cette mesure est sans incidence sur les libéralités faites avant qu’elle n’intervienne, de sorte que l’action en nullité exercée à leur encontre pour insanité d’esprit demeure toujours soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond. Il en va de même si la libéralité est faite après la mise sous curatelle (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 mars 2018, 17-15.406, Inédit) ;

De même, la mise sous tutelle du disposant postérieurement à l’établissement de l’acte à titre gratuit ne restreint en rien la liberté d’appréciation des juges quant au point de savoir si le donateur était sain d’esprit ou non au moment où il avait agi, et ce, sans qu’ils aient à tenir compte de l’ouverture postérieure de la tutelle.

 

II-  Une volonté dénuée de vices du consentement

Pour que la volonté du disposant soit prise en compte, il faut qu’elle soit pleinement libre et éclairée, autrement dit dénuée de vices du consentement. Cette exigence, puisée dans le droit commun du contrat (Code civil, article 1130 s.), s’applique aussi bien aux donations - contrats unilatéraux - qu’aux testaments, alors même que ces derniers ne constituent que des actes unilatéraux (Code civil, article 1100-1, al. 2).

 

A)  Erreur

L’erreur sur la personne du bénéficiaire ou sur une simple qualité supposée de ce dernier peut affecter la validité d’un acte à titre gratuit dans la mesure où cette qualité se révèle être le motif déterminant de la libéralité. Il s’agit alors, au sens de l’article 1134 du Code civil, d’un acte conclu « en considération de la personne ». Ainsi, alors qu’en principe l’erreur sur un simple motif - autre qu’une qualité essentielle de la personne ou de l’objet de la prestation due - n’est pas une cause de nullité (Code civil, article 1135, al. 1er), il en va différemment en matière de libéralité lorsque le motif a été déterminant : « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité » (Code civil, article 1135, al. 2). Tel a déjà été le cas, sous l’empire de la législation antérieure à la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972, pour un legs fait à un enfant que le testateur croyait être naturel alors qu’il était légitime.

Par ailleurs, l’erreur de droit ou de fait sur des qualités essentielles de la chose donnée ou léguée paraît constitutive d’un vice du consentement affectant la validité de cette libéralité (Code civil, article 1132).

 

B)  Dol

Le dol peut procéder de man½uvres frauduleuses ou d’une simple réticence dolosive (Code civil, article 1137). En principe, il ne peut provenir que de l’un des cocontractants ou, par extension, du légataire bénéficiaire du testament. Il est toutefois admis que le dol peut provenir d’un tiers, non seulement lorsqu’il est de connivence avec le cocontractant, mais encore lorsqu’il représente celui-ci ou agit pour son compte par le biais d’une gestion d’affaires, d’un lien de préposition ou d’une promesse de porte-fort (Code civil, article 1138).

Pour que la nullité de l’acte soit retenue, il faut que la man½uvre dolosive ait eu un effet déterminant dans la réalisation de la libéralité (Code civil, article 1130). Il en va spécialement ainsi lorsque le disposant est une personne qui présente, en raison de son âge ou de son état dépressif, une fragilité psychologique dont les gratifiés ont su profiter pour l’amener à tester en leur faveur.

 

C)  Violence

La violence, pour être cause de nullité d’une disposition à titre gratuit doit, quel qu’en soit l’auteur, paralyser la liberté d’agir du disposant (Code civil, article 1140). Elle peut se manifester par une contrainte matérielle ou morale (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 17 février 2010, 08-20.950, Inédit). 

Depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le Code civil admet qu’« il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (Code civil, article 1143).

Ainsi, les hypothèses de captation d’héritage sont susceptibles de relever tant du vice de dol que de celui de violence. Toutefois, la preuve de la captation est ici souvent facilitée par des dispositions spéciales instaurant une présomption irréfragable de captation.

En outre, proche du vice de violence, l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne est sanctionné pénalement (Code pénal, art. 223-15-2) et ouvre droit à réparation (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 juillet 2018, 16-24.498, Inédit). 

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042524905?init=true&page=1&query=19-13.202&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007021823?init=true&page=1&query=87-15.083&searchField=ALL&tab_selection=all

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https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026540468?init=true&page=1&query=11-20.442&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036742035?init=true&page=1&query=17-15.406&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021855684?init=true&page=1&query=08-20.950+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037196800?init=true&page=1&query=16-24.498+&searchField=ALL&tab_selection=all