Les dispositifs de géolocalisation installés dans les véhicules professionnels sont de plus en plus utilisés par les entreprises. En effet, ces outils permettent notamment à l’employeur d’assurer la sécurité du salarié, de retrouver le véhicule en cas de vol, ou de contrôler le temps de travail.

Ainsi, l’employeur doit notamment informer le salarié de l’installation d’un tel dispositif dans le véhicule mis à sa disposition, inscrire ce système dans le registre des activités de traitement qu’il doit tenir et conserver pour une durée limiter les données issues de la géolocalisation.

Cependant, ce système ne peut pas être utilisé pour localiser un salarié en dehors de son temps de travail. C’est en ce sens que la Cour de cassation s’est prononcée le 22 mars 2023, dans le cadre de deux affaires dans lesquelles deux salariés avaient été licenciés, sur le fondement de la géolocalisation, pour avoir utilisé leur véhicule pendant leur temps de repos.

Ces décisions ont été l’occasion pour la Cour de rappeler l’encadrement stricte de l’utilisation d’un tel système (I) mais également de revenir sur l’examen de la recevabilité d’un moyen de preuve illicite au regard du droit de la preuve de l’employeur (II).

 

I. L’encadrement stricte de l’utilisation d’un système de géolocalisation

Comme rappelé ci-dessus, l’employeur est soumis au respect de nombreuses règles lorsqu’il souhaite mettre en place un dispositif de géolocalisation dans les véhicules mis à disposition. Ces règles ont pour seul et unique objectif le respect de la vie privée des salariés.

Dans les cas d’espèce, les dispositifs de géolocalisation avaient été installés pour des finalités différentes : le premier était destiné au contrôle du temps de travail d’un conducteur scolaire[1]tandis que le second était destiné à la protection contre le vol et à la vérification du kilométrage d’un camion de nettoyage mis à disposition du chauffeur.[2]

Malgré des finalités différentes la Cour de cassation a émis le même constat, la localisation du salarié en dehors de son temps de travail à travers un dispositif de géolocalisation porte atteinte à la vie privée du salarié.  

La Cour de cassation est également venue rappeler que le contrôle de la durée du travail, par l’intermédiaire d’un tel dispositif n’est licite que lorsqu’il n’existe aucun autre moyen permettant d’effectuer ce contrôle.

En l’espèce, la société de transport scolaire avait l’obligation de contrôler la durée du temps de travail de ses salariés au moyen d'un livret individuel de contrôle, de sorte que le système de géolocalisation était illicite.[3] 

Ainsi, les données issues de la géolocalisation du salarié en dehors de son temps de travail sont un moyen de preuve illicite. Cependant, l’illicéité de la preuve n’entraine pas forcément son rejet des débats ! La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler dans ses deux décisions du 22 mars dernier.

 

II. L’examen de la recevabilité d’un moyen de preuve illicite

Avant 2020, la Cour de cassation jugeait systématiquement que « l'illicéité d'un moyen de preuve doit entraîner son rejet des débats. »[4]

C’est au travers des arrêts « Petit bateau »[5] et « Manfrini »[6] que la Cour de cassation a opéré ce revirement de jurisprudence, qui a été confirmé dans les arrêts du 22 mars.

En effet, la Cour rappelle, au visa des articles 5 et 9 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, que l’illicéité de la preuve n’entraine pas forcément son rejet des débats.

Le juge doit alors apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

Pour cela, le juge doit mettre en balance le droit au respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.[7]

Les juges se livrent donc à un contrôle de proportionnalité au regard du respect des droits fondamentaux et du droit à la preuve, un exercice qui s’avère de plus en plus pointilleux à l’ère des réseaux sociaux, comme le démontre l’affaire du « slip français » dans laquelle des salariés avaient été sanctionnés à la suite d’une vidéo publié sur Instagram.

Ainsi, tout en admettant, à certaines conditions, la production aux débats d’une preuve illicite, la Cour de cassation maintient son appréciation stricte au sujet des moyens de contrôle susceptible de porter atteinte à la vie privée des salariés.

L’employeur a alors tout intérêt à utiliser des moyens moins intrusifs pour contrôler l’utilisation des véhicules professionnels par les salariés.

Par exemple, un relevé quotidien du compteur kilométrique, en début et fin de service est un moyen efficace de surveiller l’utilisation des véhicules mis à disposition des salariés, tout en respectant leur vie privée.

Ces arrêts sont également l’occasion de mettre en garde sur la frontière entre la vie professionnelle et personnelle, qui peut parfois s’avérer fine et mettre l’employeur en risque d’une condamnation. L’employeur a alors une conduite à tenir afin de se prémunir de toute forme de litige à ce niveau. Pour rappel, l’employeur ne peut pas sanctionner un salarié pour un fait relevant strictement de sa vie privée.[8]

 

 

[1] Cass. soc. 22 mars 2023, n°21-21.852

[2] Cass. soc. 22 mars 2023, n°21-24.729

[3] Décret n°2003-1242 du 22 décembre 2003 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de personnes.

[4] Cass. soc. 8 octobre 2012 n°13-14.991

[5] Cass. soc. 30 septembre 2020, n°19-12.058

[6] Cass. soc. 25 novembre 2020, n°17-19.523

[7] Cass. soc. 22 mars 2023, n°21-24.729

[8] Cass. soc. 3 juin 2009 n° 07-44.513.