L'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 est quant à lui beaucoup plus fréquemment appliqué. Il vise les diffamations commises « à raison de leur fonction ou de leur qualité » à l'égard des ministres, des parlementaires, ou des fonctionnaires publics, des dépositaires ou agents de l'autorité publique, des ministres de l'un des cultes salariés par l'État, des citoyens chargés d'un service ou d'un mandat public, ou des jurés ou des témoins à raison de leur déposition.
L'application de cet article 31 est subordonnée à deux conditions.
En premier lieu, la victime doit démontrer qu'elle relève de l'une des catégories visées par ce texte. Si certaines situations ne font pas difficulté, la détermination de la catégorie des citoyens chargés d'un service public ou celle des dépositaires ou agents de l'autorité publique au sens de l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 font l'objet d'une jurisprudence pléthorique car les contestations et les difficultés de frontière sont innombrables et font le miel des plaideurs. Au-delà de la casuistique, la Cour de cassation applique une règle selon laquelle la qualité de citoyen chargé d'un service public au sens de l'article 31 de la loi doit être reconnue à celui « qui accomplit une mission d'intérêt général en exerçant des prérogatives de puissance publique, aux agents investis dans une mesure quelconque d'une partie de l'autorité publique, en écartant de cette catégorie les personnes qui ne participent pas à cette autorité alors même qu'un intérêt public s'attacherait à la mission qui leur est confiée ».
En second lieu, il faut que la fonction ou la qualité qui conduit la victime à relever de l'article 31 soit le support ou le moyen de la diffamation. Là encore, la jurisprudence est abondante. De manière générale, la Cour de cassation considère que l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne s'applique que lorsque les diffamations « qui doivent s'apprécier non d'après le mobile qui les a inspirées ou d'après le but recherché par leur auteur, mais selon la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d'actes de la fonction ou d'abus de la fonction » ou lorsque « la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d'accomplir le fait imputé, soit son support nécessaire ».
Dans le cas contraire, les personnes visées même si elles sont susceptibles d'entrer dans les catégories visées par l'article 31 en raison de leur qualité, relèveront de la catégorie résiduelle de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 conformément au dernier alinéa de l'article 31 de la loi sur la presse.
Il n'existe pas un délit de diffamation, mais en réalité plusieurs délits qui comportent des éléments constitutifs différents et des sanctions distinctes. Les différentes catégories de diffamation sont prévues aux articles 30 à 32 de la loi du 29 juillet 1881. Il s'infère de ces dispositions légales différentes distinctions.
La première tient à la qualité de la victime qui relèvera d'un délit différent selon qu'il s'agit d'une personne morale de droit public (L. 29 juill. 1881, art. 30), d'un citoyen exerçant certaines fonctions d'intérêt public (L. 29 juill. 1881, art. 31), ou d'un simple particulier, catégorie résiduelle (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 1er).
Il existe également des distinctions, au sein même de la catégorie des particuliers, selon l'objet de l'atteinte à l'honneur et à la considération, qui a conduit le législateur a édicté des délits particuliers lorsque la diffamation a un caractère raciste ou antisémite (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 2) ou un caractère sexiste ou homophobe (L. 29 juill. 1881, art. 32, al. 3), ces deux dernières catégories étant traitées ci-après. Les diffamations sont de loin les infractions à la loi sur la presse les plus fréquentes, et même si aucune statistique officielle n'est à notre connaissance disponible, il est vraisemblable qu'elles constituent au moins les trois quarts du contentieux lié à l'application de la loi du 29 juillet 1881.
La question de la juridiction compétente est aussi importante pour réprimer cette infraction, notamment lorsqu’elle est commise entre agent d’État ou fonctionnaires.
Selon l’article R. 312-12 « Tous les litiges d’ordre individuel, y compris notamment ceux relatifs aux questions pécuniaires, intéressant les fonctionnaires ou agents de l’État et des autres personnes ou collectivités publics, ainsi que les agents ou employés de la Banque de France, relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu d’affectation du fonctionnaire ou agent que la décision attaquée concerne ».
Pour le Conseil d’État, en matière de fonction publique, les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour connaître des litiges portant sur les actes qui présentent un caractère réglementaire, ainsi que sur certains actes individuels ou collectifs.
C’est ce qu’à estimer la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 16 septembre 2021 estimant que les faits reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et ne sont pas détachables d’elles, d’autant que les propos n’ont pas été exprimés dans un cadre privé. Il s’agit bien d’un litige entre fonctionnaires dans le cadre de leurs travaux et l’ordre administratif est donc seul compétent.
Un directeur de recherche au CNRS avait fait citer devant le tribunal de police de Paris dix collègues chercheurs pour diffamation non publique, leur reprochant l’envoi d’un email à plusieurs membres de la section XVI du Conseil national des universités dans lequel ils l’accusaient notamment d’utiliser sa figure d’autorité pour se moquer de la clinique freudienne et d’avoir adopté des « comportements anétiques et anti-déontologiques ».
I. La notion de diffamation
A. Les éléments constitutifs du délit de diffamation publique
A l’origine, le Code pénal de 1810 incriminait, en son article 367, la « calomnie » définie comme « l’imputation à un individu de faits qui s’ils existaient, exposeraient celui contre lequel ils sont articulés à des poursuites criminelles ou correctionnelles ou même l’exposerait seulement au mépris ou à la haine des citoyens ».
La loi du 17 mai 1819 a substitué à l’incrimination de calomnie celle de diffamation. La loi n’interdit pas seulement la calomnie (imputation de faits que l’on sait faux), mais aussi toute médisance (imputation de faits que l’on sait vrais) portant atteinte à l’honneur ou à la considération.
L’article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881 dispose :
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».
La publicité du délit implique que les écrits ou propos incriminés soient rendus publics par l’un des procédés et moyens énumérés par l’article 23 de la loi de 1881 :
« Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique auront directement... ».
Le délit de diffamation publique implique donc, outre la publicité, les éléments légaux suivants dont la réunion, caractérise l’élément matériel :
— une allégation ou une imputation ;
— d’un fait précis ;
— portant atteinte à l’honneur ou à la considération ;
— d’une personne identifiée ou identifiable ;
et un élément intentionnel qui, par exception aux principes généraux du droit pénal, est présumé en matière de diffamation.
La constatation de l’existence de ces éléments permet de qualifier le délit de diffamation publique.
La Cour de cassation exerce son contrôle afin de vérifier que, dans les propos retenus dans la prévention, se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique tels qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et tels qu’ils se dégagent des écrits incriminés. Ce contrôle s’étend à la portée et à l’interprétation des textes incriminés.
B. Les différentes diffamations
La loi du 29 juillet 1881 distingue la diffamation à l’égard des particuliers, qui est caractérisée par la réunion des seuls éléments matériel et intentionnel ci-dessus indiqués et qui représente le « droit commun » de la diffamation (art. 32 al. 1).
Au sein de cette catégorie de diffamation, on distingue aussi deux autres types de diffamation. Tout d’abord, lorsque la victime est diffamée à raison de sa race, de sa religion, de son origine ou de son ethnie (article 32, alinéa 2) et ensuite lorsque la victime est mise en cause en raison de son orientation sexuelle, de son sexe ou de son handicap (article 32, alinéa 3º.
Il existe aussi des diffamations spéciales définies en considération de la qualité de la victime ou du contenu des propos diffamatoires :
— diffamations envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques (art. 30) ;
— diffamations envers la représentation nationale, les fonctionnaires, dépositaires ou agents de l’autorité publique et les citoyens chargés d’un service ou d’un mandat public (art. 31) ;
— diffamations envers la mémoire des morts (La diffamation envers la mémoire des morts étant punie, selon les distinctions opérées par les articles 31 et 32, en fonction de la qualité de la personne diffamée, le seul visa de l'article 34 ne permet pas de déterminer quelle est l'infraction que le plaignant entend poursuivre, ni la peine applicable et ne satisfait pas aux prescriptions de l'article 50 qui impose, à peine de nullité de la poursuite, l'indication des textes dont l'application est demandée).
II. La diffamation entre agent d’État ou fonctionnaire
A. La diffamation doit être intervenue dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et pas exprimée dans un cadre privé
« La Cour de cassation rappelle régulièrement que les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents et que, d’autre part, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ».
Il est, en effet, constant que seule la juridiction administrative peut statuer sur la responsabilité pécuniaire d’un agent public (élu ou fonctionnaire) y compris pour une infraction à la loi sur la presse, lorsque ce dernier a agi dans l’exercice de ses fonctions sans commettre une faute personnelle détachable du service.
Faisant ainsi application de ces principes, la Cour n’identifiait pas en l’espèce de faute qui aurait été personnelle et détachable, c’est-à-dire une faute qui aurait consommé sa compétence matérielle au titre de l’action civile : « En l’espèce, les prévenus sont tous professeurs d’université ou maîtres de conférences. Les faits qui leur sont reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au CNU ainsi que le précise la citation. La partie civile fait également mention de son appartenance au CNU. Les infractions reprochées aux prévenus ne sont donc pas détachables de leurs fonctions. Les propos litigieux n’ont pas été tenus dans un cadre privé qui ne touchait pas du tout à l’exercice de leur travail ainsi que ra retenu le premier juge ».
Toutefois, cette portée ne doit pas être étendue au-delà du seul cas de figure d’une contravention de presse (diffamation ou injure non publique – 1ère classe – 38 euros d’amende) qui oppose un ou des agents publics victimes à un ou des agents publics auteurs.
En effet, en matière de délit de presse (diffamation ou injure publique par exemple), l’article 46 de la loi du 29 juillet 1881 interfère avec les dispositions de l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III (article unique) : « L’action civile résultant des délits de diffamation prévus et punis par les articles 30 et 31 ne pourra, sauf dans les cas de décès de l’auteur du fait incriminé ou d’amnistie, être poursuivie séparément de l’action publique ». Cet article a donc justement pour effet d’attribuer au Juge judiciaire pénal le contentieux de la réparation indemnitaire des délits de diffamation publique ou d’injure publique commis contre des fonctionnaires ou des personnes chargées d’un mandat public.
Le conflit de normes (article 46 L. 1881 versus article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III) ne survient que lorsque la victime et l’auteur d’une diffamation envers un fonctionnaire ou un élu seront tous deux des agents publics (exemple : un maire diffamé par l’un de ses agents).
Dans cette hypothèse, l’article 46 exige à peine d’irrecevabilité que la victime saisisse le Juge judiciaire pénal pour toutes diffamations de cette nature (sauf exceptions intrinsèques à ce texte), alors que l’article 13 de la loi des 16-24 août et son décret de l’An III ne l’autorisent pas si la diffamation concernée n’est pas détachable des fonctions de son auteur.
B. Compétence juridictionnelle
« L’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit de peines particulières les diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu’il énonce que lorsque ces diffamations, qui doivent s’apprécier non d’après le mobile qui les ont inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais d’après la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction, ou encore que la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son support nécessaire. »
Il ne suffit pas qu’une personne relève de la catégorie de l’article 31. Encore faut-il que la diffamation la vise en cette qualité. Si la diffamation est étrangère aux fonctions, la personne concernée est considérée comme un simple particulier et doit agir sur le terrain de l’article 32, alinéa 1, et ce, même si sa fonction est mentionnée dans les propos incriminés.
Les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, les juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences attribuées au Conseil d’État, aux cours administratives d’appel, à la cour administrative de Paris et à celle de Nantes, mais aussi sous réserve des compétences attribuées aux juridictions administratives spécialisées statuant en matière de finances publiques, de discipline, de droit des étrangers, de stationnement payant, sans oublier les réserves de compétences attribuées au juge des libertés et de la détention, au tribunal de grande instance, au conseil de prud’hommes, ou à la cour d’appel de Paris.
Au sein de la juridiction administrative, les tribunaux administratifs sont les juges de droit commun du contentieux administratif en premier ressort, sous réserve de compétences attribuées «?aux autres juridictions administratives?». Il faut donc déterminer des règles de répartition des compétences au sein de l’ordre juridictionnel administratif. Cette nouvelle règle de compétence ne suffit pas toujours à déterminer le juge compétent pour trouver la solution juridictionnelle qu’appelle le litige et une troisième règle de compétence doit alors déterminer, dans la catégorie visée, le juge territorialement ou matériellement compétent. Et il y a finalement parfois une quatrième règle, invisible du justiciable, pour, à l’intérieur de la juridiction compétente, attribuer le litige à telle ou telle chambre spécialisée.
Pour le Conseil d’État, en matière de fonction publique, les juridictions de l’ordre administratif sont compétentes pour connaître des litiges portant sur les actes qui présentent un caractère réglementaire, ainsi que sur certains actes individuels ou collectifs.
Sources :
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006449875/2021-11-23/?isSuggest=true
Article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881
Article 31 de la loi du 29 juillet 1881
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