Plusieurs Conseils de prud’hommes, chacun leur tour, ont remis en cause ce barème. C'est à son tour que le Conseil de Prud'hommes de Bordeaux a écarté l'application du barème Macron. 

Le 5 février 2019, un juge professionnel du conseil de prud’hommes d’Agen, endépartage, a également écarté le barème Macron des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

L’ordonnance Macron n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a mis en place un barème plafonnant les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, prévu à l’article L.1235-3 du Code du travail.

Ainsi, en application de cette ordonnance, dans le cas d’un contentieux prud’homal, lorsque les juges reconnaissent qu’un licenciement est injustifié, les dommages et intérêts versés au salarié par son employeur sont plafonnés.

Dans un jugement du 9 avril 2019, c’est le Conseil de Prud’hommes de Bordeaux qui refuse d’appliquer le plafonnement prévu par l’article L1235-3 du Code du travail.

En attendant, la Cour d’appel de Paris, qui doit statuer prochainement sur la conventionnalité du barème, lors d’une audience du 23 mai 2019 en présence du Parquet Général qui donnera son avis.

I. Solution du jugement du Conseil de prud’hommes de Bordeaux du 9 avril 2019 : le Conseil de prud’hommes octroie 12 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause alors qu’en appliquant le barème l’indemnité maximum de la salariée aurait été de 989 euros

1/ Rappel des faits

Madame X, architecte collaboratrice, a été embauchée par une agence d’architecture.

Elle avait un statut d’auto-entrepreneur.

Dans une lettre du 23 février adressée à son employeur, Madame X a notifié la rupture de sa relation de travail et a dénoncé une charge quotidienne de travail excessive et des mauvaises conditions de travail (violences verbales, hurlements).

Par ailleurs, elle expliquait que ses conditions et sa charge de travail ne lui permettaient pas de développer une autre activité, ce qui ne correspondait pas à un statut d’auto-entrepreneur mais à celui d’un salarié en contrat.

Elle demandait ainsi un dédommagement de ses préjudices, par une compensation financière.

La tentative de rapprochement ayant échoué, Madame X a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux.

La salariée plaidait notamment que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Eu égard aux circonstances et au préjudice subi, la salariée réclamait une allocation de dommages et intérêts de 6 mois de salaire supérieure au plafond d’indemnisation prévu par l’article L1235-3 du Code du travail.

2/ Solution du jugement

Le Conseil de Prud’hommes requalifie la relation de travail en un contrat de travail à temps plein et à durée indéterminée.

Il affirme que la prise d’acte s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Tenant compte du préjudice subi par la salariée, il écarte l’application du plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

S’agissant du préjudice et de son indemnisation, le Conseil rappelle les termes de l’article L1235-3 du Code du travail.

Le barème prévoit une indemnisation allant de 0 à 989,85euros pour le cas de Madame X, dont l’ancienneté est inférieure à un an.

Or, selon le Conseil de Prud’hommes, son préjudice réel suppose une indemnisation supérieure.

En effet, son préjudice est constitué par l’impossibilité de bénéficier d’un revenu de remplacement et par l’absence de versement de quelconques indemnités de rupture, alors que la salariée est divorcée et doit assurer seule la charge de deux enfants.

Par ailleurs, elle a été contrainte d’adopter un statut d’auto-entrepreneur laissant à sa charge le paiement de toutes les cotisations sociales, ce qui constitue un préjudice moral, qu’il convient de réparer.

Ainsi, les juges prud’homaux soulèvent la question du caractère obligatoire ou non du plafond défini par l’article L1235-3 du Code du travail : celui-ci serait « manifestement insusceptible de réparer l’intégralité du dit préjudice ».

Ensuite, les juges apprécient la conformité du barème par rapport aux règles internationales, en application de l’article 55 de la Constitution.

Les juges effectuent le contrôle de conventionnalité au regard de la convention 158 de l’OIT d’application directe, faisant référence à une "indemnité adéquateen réparation d’un licenciement injustifié", ainsi qu’à la "nécessité de garantir qu’il soit donné pleinement effet aux dispositions de la convention".

Également, le contrôle du conseil de prud’hommes est effectué au regard de l’article 24 de la charte sociale européenne qui fait référence à une indemnité adéquate en cas de licenciement sans motif valable.

Le Conseil de Prud’hommes de Bordeaux rappelle que pour le comité européen des droits sociaux, un mécanisme d’indemnisation approprié se défini comme un mécanisme devant être « d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ».

Les juges affirment alors que le « plafond dérisoire » garanti par le barème n’est pas un montant suffisamment élevé pour être un mécanisme d’indemnisation approprié.

Alors que le barème prévoyait une indemnisation d’environ 990euros pour le cas d’espèce, le Conseil fixe l’indemnisation de la salariée à hauteur de six mois de salaire, soit 12 000euros, le montant des dommages et intérêts accordés en conséquence de son licenciement abusif.

Ainsi, par une décision du 9 avril 2019, le Conseil de Prud’hommes de Bordeaux refuse à son tour d’appliquer le barème Macron et nourrit un débat, loin d’être terminé.

II. Analyse : le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux est dans la lignée de nombreuses autres contestations du barème Macron

Le plafonnement des indemnités prud’homales a été remis en question par de nombreuses juridictions prud’homales.

1/ Le juge départiteur du conseil de prud’hommes d’Agen a écarté l’application du barème Macron

Le 5 février 2019, le Conseil de prud’hommes d’Agen a rendu un jugement dans le même sens.

Or, ce jugement a été rendu par un juge départiteur, ce qui donne plus de poids à ce jugement.

C’est la première fois qu’un juge professionnel affirme de manière claire et non équivoque que le barème Macron prévoit un plafonnement qui contrevient aux normes internationales puisqu’il ne permet pas une réparation appropriée du préjudice subi par le salarié licencié sans cause réelle ni sérieuse.

Ainsi, tous les arguments développés par les détracteurs du barème ont été entérinés par le magistrat.

Cependant, il faut souligner que certains jugements reconnaissent plein effet au barème, en s’appuyant sur l’absence d’effet direct des dispositions internationales dans les litiges employeur-salarié.

Ainsi, le jugement du Conseil de Prud’hommes de Bordeaux s’inscrit dans la continuité d’une opposition de la part juges du fond.

S’il est possible de se réjouir de ces décisions qui initient peut-être une vague de résistance des juges du fond face au plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il convient cependant de rester prudents dans l’attente de décisions des Cours d’appel et, à terme, de la Cour de cassation qui aura le mot de la fin quant à l’inconventionnalité du barème.

D’autant plus qu’à l’inverse des décisions précitées, certains Conseils de prud’hommes ont au contraire affirmé la parfaite conventionnalité du barème de l’article L. 1235-3 du Code du travail.

3/ L’avis du parquet général à venir lors de l’audience du 23 mai 2019 devant la Cour d’appel de Paris

Le 14 mars 2019, la chambre sociale de la Cour d’appel de Paris a entendu les plaidoiries d’avocat lui demandant de s’affranchir du barème Macron.

La Cour d’appel a décidé de demander l’avis du parquet général.

L’affaire a été renvoyée et l’audience se tiendra le 23 mai 2019 devant la Cour d’appel de Paris en présence du Parquet Général. Le délibéré sera probablement rendu courant juillet 2019.

La présence du parquet général résulte de la circulaire du 26 février qui demande au ministère public de se porter partie jointe aux appels des décisions ayant écarté l’application du barème.

Ainsi, ce nouveau plafonnement des indemnités prud’homales fait l’objet de nombreuses controverses.

Restreignant grandement le montant des sommes auxquelles peut prétendre un salarié qui saisit le conseil de prud’hommes à la suite à un licenciement sans cause (surtout pour les salariés ayant une faible ancienneté (inférieure à 3 ans), les justiciables tentent de contourner ce barème.

Le délibéré de l’affaire, qui se plaidera devant la Cour d’appel de Paris le 23 mai prochain, est très attendu.

 

Frédéric CHHUM

Avocat à la Cour et Membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris