Le bailleur d’un local commercial ou professionnel qui exige un engagement de cautionnement doit-il être considéré comme un créancier professionnel ? Surtout lorsque ce dernier est propriétaire de plusieurs locaux commerciaux tant en nom personnel qu’au travers ou une plusieurs SCI. L’engagement de cautionnement doit-il dans ce cas respecter le formalisme ad validitatem ou la caution peut reprocher le non-respect de ce formalisme ?
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence au mois de juin 2021 qui vient aborder la problématique particulière de l’engagement de cautionnement pris par le preneur d’un bail commercial face à son bailleur.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, par acte signé le 2 novembre 2010, Monsieur et Madame D ont donné à bail à la société AD représentée par Madame G, un local à usage commercial situé dans le Var, moyennant un loyer annuel de 21.000 euros.
Suivant acte sous seing privé du 2 novembre 2010, Monsieur et Madame G se sont portés cautions solidaires de la société AD pour le paiement des loyers à concurrence de la somme de 10.500 euros.
Selon jugement du 30 avril 2012, le Tribunal de Commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société AD convertie en liquidation judiciaire par jugement du 4 novembre 2013.
La liquidation judiciaire du débiteur principal
Par acte du 2 février 2014, Monsieur et Madame D ont fait délivrer à Maître P en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société AD, et aux époux G, en leur qualité de cautions, un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail.
Selon acte du 2 avril 2015, Monsieur et Madame D ont fait assigner Monsieur et Madame G en paiement devant le Tribunal de Grande Instance.
La condamnation de la caution en paiement
Par jugement du 8 mars 2017, ce tribunal a :
- Rejeté la demande en nullité du contrat de cautionnement
- Condamné solidairement Monsieur et Madame G à payer à Monsieur et Madame D la somme de 10.500 euros
- Condamné solidairement Monsieur et Madame G à payer à Monsieur et Madame D la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Monsieur et Madame G ont alors interjeté appel de cette décision pour
- Réformer le jugement entrepris en son entier
- Dire l’engagement nul et non avenu,
- Dire le bailleur ayant la qualité de créancier professionnel
- Sommer les bailleurs de justifier de leur avis d’imposition, et leur situation patrimoniale
- Dire le droit de la consommation applicable
- Dire nul l’engagement de caution non déterminé dans le temps
Faisant valoir que le cautionnement litigieux ne respectait pas les dispositions applicables en la matière, et en particulier les articles L341-2 et L341-3 du Code de la Consommation, Monsieur et Madame G faisaient grief au Tribunal d’avoir considéré que ce n’était pas dans le cadre professionnel que Monsieur et Madame D avaient donné à bail le local concerné, alors pourtant que, ledit bail étant à vocation commerciale, le cautionnement ne pouvait être que professionnel.
Cautionnement non professionnel
Monsieur et Madame D niaient leur qualité de professionnel, alors que le créancier professionnel au sens de l’article L341-2 précité est « celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale », de telle sorte que la notion de créancier professionnel s’entend de manière large et un bailleur est immanquablement considéré comme un professionnel.
Les consorts G considéraient que si Monsieur et Madame D étaient retraités à titre principal, il n’en demeurait pas moins qu’ils tiraient des revenus locatifs de l’ensemble des actifs qu’ils possédaient, en ce compris les différentes SCI dont ils étaient par ailleurs gérants, caractérisant par là-même un aspect professionnel à leur qualité de créanciers.
Bailleur professionnel ?
Monsieur et Madame D répliquaient que, si selon les articles L.341-2 et L.341-3 du Code de la Consommation toute personne physique, qu’elle soit ou non avertie, doit, dès lors qu’elle s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, faire précéder sa signature, à peine de nullité de son engagement, qu’il soit commercial ou civil, des mentions manuscrites exigées par ces textes, ils ne sont pas eux même des professionnels.
Ils exposent qu’ils ne sont pas une SCI, que Monsieur et Madame G ne peuvent déterminer la qualité de professionnels des bailleurs et le caractère professionnel de la créance en cause en se bornant à alléguer l’existence d’une SCI, a fortiori deux, que ne révèle pas le bail, sociétés qui n’ont, au surplus, pas sollicité un engagement de cautions de leur part.
Dans la mesure où ce bail a été conclu par les bailleurs à titre personnel et non pas en lien direct avec les SCI en question, ils ne pouvaient être considérés comme des professionnels.
Définition du créancier professionnel
Il convient de rappeler que le créancier professionnel, au sens des articles L.341-2 et L.341-3 du Code de la Consommation, est celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale.
La Cour d’Appel répond par une argumentation spécieuse puisqu’elle considère dans un premier temps que dès lors, et peu important à cet égard la nature du bail ou le caractère commercial de l’activité exercée par la débitrice principale, les textes précités n’ont pas vocation à s’appliquer, et les époux G ne sont donc pas fondés à s’en prévaloir pour prétendre à la nullité de leur engagement de caution, au motif, non contesté, qu’il ne répond pas au formalisme rigoureux prescrit.
La Cour d’Appel considère que pour être qualifié de professionnel, il est nécessaire que le créancier soit « dans l’exercice de sa profession », qu’ainsi, il faut que l’activité réalisée consiste en une occupation sérieuse de nature à produire des revenus tels qu’ils permettent de subvenir aux besoins de l’existence, qu’en tout état de cause, le critère de la profession postule la réalisation habituelle d’actes, suivant une certaine organisation, en raison de l’existence ou de l’exploitation d’une entreprise.
Elle précise que le seul recueillement de fruits d’un bien ne permet pas d’y voir nécessairement une activité professionnelle et que la qualité des bailleurs personnes physiques retraitées enlève toute pertinence à leur argumentation tendant à les attraire dans le champ d’application des dispositions du Code de la Consommation.
Elle considère que les bailleurs, et donc les créanciers, envers lesquels Monsieur et Madame G se sont, en vertu d’un acte sous seing privé du 2 novembre 2010, portés cautions solidaires des engagements, s’agissant du paiement des loyers de la société AD, débitrice principale en sa qualité de preneuse aux termes du bail commercial du 2 novembre 2010, sont Monsieur et Madame D, personnes physiques agissant en leur nom personnel.
Elle souligne que si aucune mention ne figure dans le contrat de bail du 2 novembre 2010 concernant leur situation à cette date, le fait que, selon les documents produits par les appelants, Monsieur et Madame D soient co-gérants d’une société civile immobilière immatriculée en novembre 2014, et que Monsieur précédemment gérant d’une autre société civile immobilière soit inscrit, depuis le 28 février 2012, au registre du commerce et des sociétés pour une activité de loueur de locaux meublés à usage d’habitation ou professionnel, ne saurait permettre de considérer que, lorsqu’ils ont donné à bail à la société AD dont Monsieur et Madame G se sont alors portés cautions solidaires, le local commercial dont ils étaient propriétaires, Monsieur et Madame D ont agi en qualité de créanciers professionnels.
Il convient de rappeler qu’est professionnel, au sens des articles L341-2 et L341-3 du code de la consommation, celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles même si celle-ci n’est pas principale.
Créancier professionnel
Or, la Cour d’appel dans le cadre de son pouvoir, considère qu’elle n’est pas le cas en l’espèce ce qui est tout de même bien curieux.
En effet, la Cour considère qu’importe à cet égard la nature du prix au caractère commerciale de l’activité exercée par le débiteur principal.
La Cour considère qu’importe la nature du bien et le caractère commercial de l’activité exercée par le débiteur principal, les textes précités ne sont évoqués par les cautions qui sont préalables pour prétendre à la légalité de leur engagement de cautionnement au motif non contesté qui ne répond pas au formalisme rigoureux prescrit en la matière.
Il est évident que ce bail n’était pas conforme aux prescriptions en la matière.
Bail commercial et caution
La question est que cet engagement de cautionnement n’est absolument pas conforme aux prescriptions en la matière.
La vraie question qui se pose est de savoir si oui ou non, nous sommes en la présence d’un créancier professionnel.
Le formalisme ad validitatem du cautionnement
Car la Cour retient que l’engagement de cautionnement n’est pas conforme au formalisme rigoureux pourtant prescrit en pareille matière, et ce suivant formalisme qui est ad validitatem,
ll n’est par ailleurs pas non plus contesté qu’il n’y avait pas dans ce dossier les justificatifs d’envoi de la lettre d’information annuelle de la caution.
L’information annuelle de la caution
Pour autant, au-delà des textes du code de la consommation, visant les créanciers professionnels qui ne s’impliquent pas en l’espèce comme il vient d’être dit au motif pris qu’il ne s’agirait pas de créanciers professionnels, les autres textes, pour la Cour ne sont pas davantage applicables.
En effet, dans la mesure ou l’obligation d’information de la caution ne s’appliquerait pas, visée par l’article L313-20 du code monétaire et financier qui concerne les établissements de crédits, ne peuvent être une obligation qui pèse sur le créancier.
Dans la mesure où il ne s’agit que d’une créance de loyer de telle sorte que le créancier n’est pas tenu de dresser une lettre d’information annuelle sur une simple problématique d’arriéré de loyer.
Précisons d’ailleurs que le bail commercial est un bail à exécution successive et qui n’en fait pas, sauf close exorbitante, un contrat donnant lieu à un remboursement par fractionnement de la dette et le non-paiement d’un terme du bail n’emporte pas que le débiteur soit déchu du terme après mise en demeure et ces effets.
De telle sorte que le défaut de paiement des loyers n’a pas abouti à la perte du droit de la société d’exploitation de se libérer dans les termes du contrat.
En conclusion
Cette jurisprudence est intéressante à de nombreux égards, puisqu’elle vient répondre à la question de savoir si oui ou non un bailleur particulier peut être considéré comme un créancier professionnel imposant donc un engagement plus ou moins ad validitatem dans l’hypothèse où ce dernier aurait un ou plusieurs locaux commerciaux tant en nom personnel que par différentes sociétés civiles immobilières.
Que cette jurisprudence vienne, dans cette affaire, écarter les qualifications de créancier professionnel du bailleur est un chose, mais à mon sens, cela mérite réflexion car dans la mesure ou le créancier bailleur est propriétaire de plusieurs locaux commerciaux et a l’habitude tant en son nom personnel qu’au travers ses différentes sociétés civiles immobilières d’être propriétaire de biens qu’il met en location à la fois d’habitation et à la fois commerciale.
A mon sens, la Cour avait tous les moyens de le caractériser comme créancier professionnel.
Et par là même, de remettre en question l’engagement de cautionnement qui ne respectait pas les formes prescrites en la matière.
Dès lors, il appartient à la caution d’être attentive à la qualité de son bailleur et de s’assurer si oui ou non celui-ci peut être considéré comme créancier professionnel qui a pour habitude de louer à bien des égards différents locaux.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit
Document très accessible