En cas de difficultés conjoncturelles ou structurelles, un emprunteur peut-il engager une action aux fins de suspension judiciaire des échéances, sans omettre d’engager en parallèle une action en responsabilité contre la banque au titre de ses manquements aux obligations de conseil et de mise en garde ? Comment imbriquer intelligemment deux procédures aux philosophies et prescriptions distinctes ? 

Il convient de s’intéresser à l’enchevêtrement particulier pouvant exister entre une procédure devant l’ancien Tribunal d'instance, désormais juridiction de proximité, aux fins d'obtenir la suspension judiciaire des échéances et de l’autre, la classique action en responsabilité que le débiteur peut opposer à la banque alors même que ce dernier soulève par ailleurs la prescription de la créance bancaire, voire même lorsque l’emprunteur conteste la validité de la déchéance du terme. 

L'enchevêtrement procédural n’est pas toujours heureux entre les différentes demandes que l’emprunteur en difficulté peut faire et les prétentions de la banque, qui ne manque pas de tout faire pour poursuivre en paiement. 

 

Quels sont les faits ?  

Dans cette affaire, suivant offre acceptée le 11 mai 2006, la banque avait consenti à Madame X un prêt immobilier de 145 000 euros réaménagé par avenant en 2008.

Dans la même foulée, en décembre 2008, la banque avait également consenti à l’emprunteur un prêt relais d'un montant de 200 000 euros.

Cependant en l’état de différents impayés, Madame X qui était prévenante et prudente, a décidé d’engager une action aux fins de suspension judiciaire des échéances du prêt et a obtenu une Ordonnance de référé le 22 avril signifiée le 06 mai 2010.

Ladite Ordonnance du président du Tribunal d’instance, ordonnait la suspension judiciaire des échéances du prêt pour une durée de 24 mois à compter de la signification de la décision rendue et reportait le remboursement du prêt relais au 1eroctobre. 

Pour autant, et par la suite, la banque a fait le choix d’assigner l’emprunteur en paiement, et ce, suivant assignation délivrée le 03 janvier 2014 suivant.

 

La prescription, premier moyen de défense du débiteur

En défense, le débiteur envisage de solliciter la prescription de l’action du créancier, et oppose la prescription biennale en prenant comme point de départ le prononcé de la décision du Tribunal d’instance ordonnant justement la suspension judiciaire des échéances du prêt.  

La première des argumentations soulevées par le débiteur était alors d’imaginer opposer la prescription biennale puisque depuis l'Ordonnance il ne s’était rien passé. 

Or, il ressort des circonstances de la cause que le débiteur avait adressé les courriers du 26 janvier 2011 et du 28 février 2012, dans lequel l’emprunteur s’était rapproché de l’établissement bancaire afin de trouver une solution amiable, comportement qui pouvait être interprété comme interruptif de prescription. 

En effet, ces deux correspondances peuvent avoir un effet interruptif de prescription en ce que ces derniers caractérisaient la reconnaissance par le débiteur du droit du créancier, cette reconnaissance suspendant la prescription de la créance.

Pour autant, le débiteur considérait que la procédure de suspension judiciaire des échéances ne faisait que suspendre les échéances mais ne suspendait en rien les délais de prescription. 

De telle sorte que les seules correspondances du 26 janvier 2011 et du 28 février 2012 ne suffisaient pas à interrompre la prescription, car par la suite, et dans le cadre de la procédure de suspension judiciaire des échéances, faute de demande de la banque, celle-ci était prescrite, qu’importe la procédure. 

La débitrice combattait les prétentions de la banque.

Elle considérait même que les pourparlers transactionnels ne peuvent être constitutifs d’une reconnaissance de dette interruptive des délais de prescriptions, de telle sorte que celle-ci était acquise.

Par ailleurs, la seule existence de correspondances ne saurait suffire.   

Il appartenait quand même au juge de s’assurer de l’absence totale d’équivoque et de vérifier la véracité de l’aveu clair et non équivoque de l'existence même de la créance de la banque.

A bien y comprendre, une simple demande de négociation ne saurait suffire.

 

Quelle interruption à la prescription ?

La Cour de cassation ne partage malheureusement pas cette analyse et considère que la décision du Juge des référés ayant ordonné à la suspension du prêt amortissable pendant 24 mois à compter de la signification de l’Ordonnance et reporté par la même le remboursement du prêt relais au 1er octobre 2010 avait un effet interruptif à la date de signification de l'Ordonnance intervenue dès lors le 06 mai 2010. 

Dès lors, la Cour de cassation considère que par la lettre du 26 janvier 2011, l’emprunteur a manifesté sa volonté d'aboutir à une résolution amiable de réaménagement de la créance avec effet au mois de juillet 2012 et qu'il a par ailleurs réitéré cette volonté par un courrier électronique du 28 février 2012 dans lequel il exprimait son interrogation sur l'intégration du prêt amortissable dans l’acte d'accord.

 

La reconnaissance expresse de la créance 

Dès lors, la Cour de cassation considère que l'emprunteur a, dans ses actes, reconnu clairement et sans équivoque la créance de la banque de telle sorte que la Cour d'appel n'a pu qu'en déduire que lesdits actes étaient bels et bien interruptifs de prescription de sorte que l'action de la banque était encore recevable. 

Dès lors, finalement ce n'est pas tant l'idée même d'une déchéance de la suspension judiciaire des échéances du prêt qui mettent en difficulté Madame X mais bel et bien les courriers qu'elle a fait par la suite afin de trouver une solution amiable. 

De telle sorte qu’à bien y réfléchir, il n'est pas toujours bien-fondé d’adresser quelques correspondances que ce soit à l’établissement bancaire, qui quant à elle se garde bien d'écrire quoi que ce soit.

Pour autant, cela n’avait pas empêché Madame X d’engager une action en responsabilité contre la banque au titre des manquements de la banque à ses obligations de conseil et de mise en garde. 

Or, dans le cadre de cette action en responsabilité, c’est au tour de la banque de soulever la prescription de l’action.

Cela peut sembler paradoxal.

D’un coté la banque demeure toujours recevable pour poursuivre son débiteur, 

D’un autre coté, le débiteur serait prescrit à engager la responsabilité de la banque, 

Les mêmes actes et éléments de procédure profitant à l’un (la banque), et pas à l’autre (le débiteur poursuivi), 

Sic,

Or, la prescription n’est pas à sens unique,

Il appartient au débiteur d’y être extrêmement attentif lors de l’établissement de sa défense juridique er judiciaire tout comme dans ses choix d’attaque contre le créancier. `


Car, comme à chacun sait, la meilleure défense……

 

La prescription, entre attaque et défense

Pour autant, dans cette affaire, la Cour de cassation considère que la débitrice, Madame X, est prescrite dans son action en responsabilité contre la banque. 

Les Juges du fonds reprochaient au débiteur d'avoir formalisé ce moyen tiré de la responsabilité de la banque pour manquement à ses devoirs d'informations et de mise en garde, lesquels  ne tendaient qu'au rejet de la demande en paiement formulé contre le débiteur, et ce, passé le sacro saint délai de prescription de la responsabilité contractuelle de de cinq ans qui a comme point de départ à compter de l'octroi du prêt 

Dans ce sens là, immanquablement, la prescription était acquise.  

Madame X tentait de considérer que cette demande était un moyen de défense au fond sur laquelle la prescription est sans incidence dans la mesure ou sa demande est une demande reconventionnelle celle-ci ne pouvait être assujettie à quelque forme de prescription que ce soit. 

A bien y comprendre, la prescription ne s'appliquerait pas aux exceptions opposées à la demande principale, lorsqu’il revient au Juge du fond de restituer au moyen tiré de la responsabilité de la banque sa qualification de défense au fond. 

Cependant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse.  

En effet, la Cour de cassation considère que la demande relative à la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde formée en réponse à l'action en paiement engagée par celle-ci, constitue une demande reconventionnelle aux fins d'allocation d'une indemnité pour perte de chance dont la prescription court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s’est révélé à la victime. 

De telle sorte que, lorsque Madame a soulevé la responsabilité de la banque pour manquement de ces devoirs d’information, de conseil et de mise en garde par ses seules et simples premières conclusions du 26 mai 2015, celle-ci était déjà atteint de prescription.

Telle est la sentence de la Haute juridiction. 

 

Prescription sur prescription ne vaut

Plusieurs remarques s'imposent à ce stade.

Premièrement, force est de constater qu’effectivement les conclusions consacrant la responsabilité de la banque au titre des sacro-saints manquements aux obligations de conseils et de mise en garde aurait dû être formalisées bien avant. 

Ceci d’autant plus que les procédures judiciaires existaient depuis un certain temps.

Plusieurs conclusions s’imposent. 

En effet, force est de constater que le contentieux contre la banque nécessite une ingénierie et une anticipation évidente des arguments juridiques tout comme du choix judiciaire.  

En effet, si l’emprunteur, devenu débiteur, considère être en difficulté par rapport à l’établissement bancaire et ne pouvant faire face à ses obligations, il doit impérativement anticiper la situation, lancer les hostilités, et engager une action en fin de suspension judiciaire des échéances.


Cependant, rien ne l'empêche, à ce stade, en plus de cela, d'imaginer également engager une action en responsabilité contre la banque lui permettant notamment de contester la réalité de la déchéance du terme si celle-ci se présentait,

Cette approche a tout son sens.  

Car, non seulement le débiteur fonde sa demande de suspension judiciaire des échéances sur des difficultés financières qu’il vient de rencontrer de manière conjoncturelle,

Tout en imaginant engager la responsabilité de la banque au titre de ses obligations de conseil et de mise en garde, si par extraordinaire il ressort que ces difficultés financières sont finalement structurelles, la banque leur ayant octroyé un financement inadapté ne pouvant que les mettre, à court ou moyen terme, en difficulté.

Ainsi, l’action contre la banque aux fins de suspension judiciaire des échéances, tout comme l’action contre la banque au titre de ses manquements de conseil et de mise en garde sont régies par des logiques et des problématiques de recevabilité et de prescription propres, notamment en matière de prescription. 

Toute la magie du Conseil et avocat du débiteur est de choisir l’ingénierie juridique et judiciaire capable d’allier les deux avec force et intelligence.

 

Maître Laurent LATAPIE

Avocat, Docteur en Droit