La jurisprudence s'inscrit dans une perspective d'hostilité à la prescription des infractions d'affaires commises par le chef d'entreprise. Si l'intention est louable, puisqu'il s'agit de mettre en oeuvre une répression efficace, le procédé est fortement contestable compte tenu des principes qui régissent la matière pénale, et surtout des enjeux relatifs aux droits et libertés qui ont conduit à l'adoption de ces principes.

Atypique en raison de l’originalité de sa structure, le régime pénal du chef d’entreprise s'illustre principalement par la singularité de ses outils répressifs. Il résulte d'un bouleversement des principes pénaux fondamentaux qui révèle d’importantes déficiences tant au niveau de l’incrimination que de la répression. Davantage mû par un souci d'efficacité que de sécurité juridique, le droit pénal des affaires a élaboré pour le chef d’entreprise une responsabilité qui déconcerte à tout point de vue. La multiplication des incriminations, l’accentuation de la pression pénale sur le dirigeant face au rendez-vous manqué de la responsabilité pénale des personnes morales, la double incrimination pénale et administrative sont autant d’illustrations d’une lourde tendance répressive. 

Mais l’une des spécificités majeures de ce régime particulier réside dans la quasi-imprescriptibilité de certaines infractions visant le dirigeant.

En effet, en dehors des crimes contre l'humanité, l’ensemble des infractions édictées par notre Code pénal sont soumises à prescription.

La philosophie sous-tendant cette « indulgence légale » en matière pénale a des justifications multiples. D'une manière générale, la prescription de l'action publique comme de la peine trouve leur légitimation notamment dans l'oubli de l'infraction dans la mémoire collective, ainsi que les remords du coupable. Ces présomptions justifient l'extinction du droit de poursuivre ; dès lors, la prescription apparaît comme un instrument de politique criminelle. S’agissant du cas particulier de l'action publique, sa prescription se justifie aussi par d'autres motifs. D'abord, des poursuites trop tardives ne sont jamais qu'un constat d'échec des autorités policières et judiciaires, ce qui peut inquiéter le public et favoriser une crise de confiance quant à l'efficacité des institutions. Ensuite, la prescription sanctionne l’inertie des autorités de poursuite qui, incapables d'agir à temps, perdent leurs prérogatives, sans compter la réalité d’une disparition progressive du trouble porté à l’ordre public. Enfin, plus le temps passe, et plus le risque d'erreur judiciaire est grand : le dépérissement des preuves est inéluctable car les indices matériels disparaissent et les témoignages sont moins fiables. 

Toutefois, il est possible d’observer une hostilité particulièrement vive à la prescription des infractions commises par le dirigeant. S’il est vrai que le contexte spécifique de la délinquance d'affaires a conduit le législateur à aménager des règles procédurales classiques, notamment des règles de preuve et de compétence (art. L. 511-10 et s., L. 311-36 du Code de la consommation; L. 621-21 et L. 511-4 du Code monétaire et financier), l'action publique elle-même a donné lieu à la consécration de règles dérogatoires, qu'il s'agisse de l'accomplissement de formalités préalables (art. L4721-4 du Code du travail ou art. L. 244-2 du Code de la Sécurité sociale) ou de la nécessité d'une plainte (art. 1741 du Code Général des Impôts).

Fallait-il aller jusqu'au bout de cette logique et consacrer un particularisme en matière de prescription des infractions d'affaires ? Assurément, mais avec parcimonie. Une telle spécificité s'impose puisque l'application du droit commun peut se traduire par des impunités choquantes et inadmissibles, les infractions d'affaires étant souvent cachées ou difficiles à déceler. Mais c'est alors au pouvoir législatif d'intervenir, et non au pouvoir judiciaire qui ne saurait se substituer à lui, conformément au principe de la légalité (art. 34 de la Constitution de 1958). Or, jusqu’ici, c'est essentiellement la jurisprudence qui a aménagé les règles relatives à la prescription pénale.

En fait, la prescription en elle-même n'a jamais véritablement été mise en cause : ce sont ses modalités de mise en ½uvre qui peuvent susciter quelques réserves. La prescription peut être interrompue par tout acte d'instruction ou de poursuite (art. 7 du Code de procédure pénale). Il en est ainsi de la transmission d'une procédure aux fins de transaction (Cass. crim., 28 oct. 1976, Bull. crim. n° 306 ; 17 nov. 1980, Bull. crim. n° 302), ou encore des procès-verbaux dressés en matière économique (Cass. crim.16 déc. 1976, JCP 1977, II, n° 18601, obs. J.-C. Soyer et A. Decocq ; D. 1977, Jur. p. 163, note B). Toutefois, l’on observera une multiplication des cas interruptifs de la prescription qui a pour conséquence directe d'en prolonger le délai (M. DELMAS-MARTY, Droit pénal des affaires, t. 1, PUF (Thémis), 3e éd., 1990, p. 217). Cependant, la question centrale est celle du point de départ du délai de la prescription : la règle générale est que la prescription commence à courir le jour de la réalisation de l'infraction (art. 7 et 8 du Code de procédure pénale). Or, s’agissant de la date de commission de l’infraction, il faut opérer une distinction entre les infractions instantanées dont le point de départ de la prescription est fixé au jour de l'acte délictueux (Cass. crim., 30 déc. 1953, Bull. crim., n° 356 ; CA Aix, 12 janv. 1954, JCP 1954, II, n° 8040, note J. Savatier), et les infractions continues dont la prescription commence à courir à compter du jour où cesse l’état délictueux. Ces règles classiques, qui a priori ne suscitent pas de difficultés d'interprétation, ne sont pas scrupuleusement respectées par les juges, surtout dans le domaine de la délinquance d'affaires marqué par une hostilité particulière à la prescription. Si l’objectif – mettre en ½uvre une répression efficace – est louable, le procédé, en revanche, l’est beaucoup moins compte tenu des principes gouvernant la matière pénale, et surtout des enjeux au regard des libertés qui ont conduit à l'adoption de ces principes. Le principe de l'interprétation stricte (art.111-4 du Code de procédure pénale), corollaire du principe de la légalité, peut gêner l'efficacité de la répression mais il s'impose dans un Etat de droit. Or, de ce point de vue, l'évolution du droit positif peut sembler inquiétante, qu'il s'agisse d'infractions d'affaires stricto sensu ou de certaines infractions de droit commun fréquemment commises dans le monde des affaires : dans certains cas, la prescription est simplement retardée au dernier acte litigieux (I), ce qui, bien que préoccupant dans certains cas, ne paraît pas trop grave puisque le retard n'est au plus que de quelques mois ; dans d'autres, elle est largement différée (II), de sorte que nous sommes en présence d'une quasi-imprescriptibilité de l'action publique beaucoup plus critiquable. 

I- La prescription juste reportée

Le retard de la prescription est compréhensible pour les infractions continues compte tenu de la nature même de ces infractions. Mais il est anormal que des infractions, par nature instantanées, soient considérées comme continues à seule fin de retarder la prescription. Le retard est fondé dans le premier cas (A), mais infondé dans l'autre (B). 

 

A-Un report fondé 

Concernant les infractions continues, le fait de retarder le point de départ du délai de prescription au jour où prend fin l'activité délictueuse (Cass. crim., 19 févr. 1957, Bull. crim., n° 166 ; 6 févr. 1969, JCP 1969, II, n° 16004, note P. Chambon) est parfaitement légitime. La règle s'impose car, contrairement aux infractions instantanées qui sont réalisées en un trait de temps, les infractions continues constituent en réalité une « activité délictueuse » qui s’étend dans le temps. Dans ces hypothèses, les actes constitutifs légaux de l'infraction se caractérisent par une certaine durée (M. DONNIER, Les infractions continues, Rev. science crim. 1958, p. 764). L'infraction n'est consommée qu'à partir du moment où cesse la situation criminelle, la durée de l'acte d'exécution étant incluse dans la définition de l'infraction.

Or, les textes précisent que la prescription ne commence à courir que le jour de la consommation de l'infraction. En définitive, au sens fonctionnel du terme, la prescription n'est même pas véritablement retardée puisqu'elle va commencer à courir du jour où l'infraction est « commise », ou plus précisément lorsque celle-ci est juridiquement constituée. Le retard n'est donc qu'apparent et sa légitimité ne peut, dès lors, être mise en cause. Il en va ainsi pour les infractions successives, supposant intrinsèquement une volonté coupable réitérée à chaque manifestation de l'infraction. par conséquent, l'infraction ne commence à se prescrire que par l'exécution (Cass. crim., 17 oct. 1908, Bull. crim., n° 392).?Lorsque le législateur met à la charge du délinquant une obligation d'agir, plusieurs hypothèses doivent être envisagées. D'abord, si aucun terme n'est fixé, la prescription de l'action publique court à partir du moment où cesse le comportement illicite (E. JOLY-SIBUET et Y. REINHARD, Infractions relatives à la législation des sociétésJ.-Cl. Pénal, Ann., Fasc. 10, n° 18. 1198).

Ensuite, si un délai est prévu, son écoulement fixe le jour de consommation de l'infraction (ibid), le délai de prescription courant à son expiration. Enfin, il en est de même si le délai, bien que non mentionné expressément, peut se déduire de l'obligation en cause. La légitimité de ces retards ne semble pas pouvoir être mise en cause compte tenu de la nature même des infractions. En revanche, il en est tout autrement dans d'autres hypothèses. 

 

B- Un report infondé 

Le retard est infondé lorsqu'on est en présence d'infractions qui, bien qu'instantanées, sont considérées comme continues afin de repousser le point de départ du délai de prescription de l'action publique. Cette multiplication des délits continus, fréquente dans le domaine des infractions commises par le dirigeant, est particulièrement illustrative de l'hostilité traditionnelle à la prescription. Il est vrai que la nature instantanée ou continue d'une infraction est déterminée par la loi ou par la jurisprudence, et cela n'est pas toujours conforme à la logique (J. LARGUIER, Droit pénal général, 22e éd., DALLOZ, 2014, p. 62). En l'absence de critères vraiment fiables, la distinction peut être délicate, d'autant plus que parfois le législateur « brouille les pistes » en admettant que, selon les cas, une même infraction puisse être instantanée et continue (P. CONTE, Droit pénal général, 22e éd., DALLOZ, 2014, n°205). Toutefois, il semble que l'on ne puisse imputer la continuité de l'infraction au délinquant que dans la mesure où ce dernier l'a provoquée par des actes de volonté réitérée (R. MERLE et A. VITU, Droit pénal général, Tome I, 7e éd., CUJAS, 1997, n°461). 

Cependant, il n'est pas toujours aisé de distinguer, par exemple entre les infractions permanentes - qui sont instantanées - et les infractions successives - qui sont continues -, surtout lorsque les effets se prolongent grâce à l'inaction délibérée du délinquant. 

Mais, malgré de légitimes hésitations face à des situations aussi particulières que marginales, il est anormal que des infractions instantanées soient considérées comme continues. A cet égard, l'exemple le plus significatif est celui de l'escroquerie aboutissant à l'obtention d'un titre donnant droit à des versements périodiques : la jurisprudence estime que le point de départ du délai de prescription est le jour du dernier versement, voyant dans ces hypothèses des manoeuvres frauduleuses répétées, formant un tout indivisible et provoquant des remises successives (Cass. crim., 1er févr. 1993, Dr. pén. 1993, n° 158, obs. M. Véron ; 28 mars 1994, Dr. pén. 1994, n° 137 (2e arrêt), obs. J.-H. Robert ; 20 juin 1994, Dr. pén. 1994, n° 260, obs. M. Véron ; Rev. science crim. 1995, p. 103, obs. R. Ottenhof). Même si le juge apporte ainsi une intéressante contribution à la notion « d'opérations juridiques complexes (R. OTTENHOF, obs. préc.», la démarche est critiquable compte tenu de la nature réelle de l'infraction : l'escroquerie est une infraction instantanée (Cass. crim., 7 janv. 1944, S. 1944, 1, Jur. p. 112 ; 22 nov. 1983, Bull. crim. n° 307 ; Rev. science crim. 1985, p. 309, obs. P. Bouzat); le point de départ du délai de prescription, qui ne saurait être indéfiniment retardé, ne peut donc être que le jour de la remise (Cass. crim., 16 févr. 1965, Bull. crim., n° 279 ; 20 mars 1984, D. 1984, IR p. 433, obs. J.M.R. ; 27 mai 1991, Dr. pén. 1991, n° 285). Il est vrai que l'application d'un tel principe est plus facile dans l'hypothèse d'une escroquerie simple où des manoeuvres ponctuelles sont suivies d'une remise unique, mais il ne doit pas pour autant être écarté dès lors que l'escroquerie est complexe. L'idée que des remises successives provoquées par des manoeuvres multiples forment un tout indivisible n'est pas totalement convaincante : d'une part, cela revient à nier le caractère instantané de l'infraction ; d'autre part, il s'agit là de la mise en oeuvre d'un plan unique, ce qui devait être pris en compte tout comme dans le cadre d'une contrefaçon, et pour les mêmes raisons. 

Parfois, la multiplication des délits continus prend une forme différente. C'est ainsi que certaines infractions instantanées se renouvellent à chaque fait, et ainsi la prescription ne pourra véritablement courir qu'à partir du dernier fait. Ainsi, l'usage de faux est une infraction instantanée, mais se renouvelant à chaque fait positif d'usage, ce qui interrompt la prescription (Cass. crim., 8 juill. 1971, Bull. crim., n° 227 ; 15 nov. 1973, Bull. crim., n° 422 ; 12 nov. 1979, Bull. crim., n° 313). Les délits d'obstacle à l'action d'organes de contrôle comme l’AMF, les commissaires aux comptes ou les agents compétents en matière d'infractions économiques, sont des infractions instantanées : ce sont des infractions de commission fondées sur un refus, et non des infractions d'omission ayant un caractère continu; mais dans certains cas l'infraction apparaît progressivement, et celle-ci n'est constituée que si les refus réitérés de communiquer certaines pièces trahissent la mauvaise foi du dirigeant (M. DELMAS-MARTY, t. 1, op. cit., p. 214).

Il convient d'observer qu'en matière d'entrave à l'exercice des fonctions de membre du comité d'entreprise, les juges estiment que l'infraction résultant d'un refus de réintégration se prolonge jusqu'au jour de la réintégration (Cass. crim., 28 mai 1968, D. 1969, Jur. p. 471, note J.-M. Verdier). Cette jurisprudence concernait l'application d'une loi d'amnistie, mais la même solution pourrait être envisagée quant au point de départ du délai de prescription de l'action publique (M. DELMAS-MARTY, t. 1, op. cit., p. 216). En matière de contrefaçon des marques, une solution intéressante a été retenue : chaque fait incriminé (fabrication, usage, vente) est un délit distinct, et il importe peu qu'il se répète en grand nombre car il constitue chez son auteur la mise en oeuvre d'un plan unique (Ibid). Pour les contrefaçons (Art. L. 335-2 Code de propriété intellectuelle), et malgré une forte volonté répressive (Loi n° 94-102 du 5 févr. 1994), le principe reste que les délits se prescrivent conformément au droit commun, le délai partant selon les cas du jour de la reproduction ou de la représentation, du jour du dernier acte de diffusion ou de débit (TGI Paris, 27 févr. 1990, RIDA oct. 1990, p. 316). 

Cependant, même si une décision a pu affirmer que la contrefaçon constitue un délit continu (CA Paris, 11 juin 1990, Juris-Data, n° 023217), l'affirmation peut paraître trop abrupte pour emporter la conviction (A. LUCAS et H.-J. LUCAS, Propriété littéraire et artistique, LITEC, 1994, n° 799) .?Le cas de la banqueroute est particulier car, selon le moment où l'infraction est apparue, les règles applicables sont différentes. La prescription de l'action publique ne court que du jour du jugement prononçant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire lorsque les faits sont apparus avant cette date (L. 654-16 du code de commerce). Ce n'est donc pas la date de la commission de l'infraction qui est prise en compte, ce qui est significatif d'un léger retard quant au calcul de la prescription. Sous l'empire de la loi de 1967, c'est la date de la cessation des paiements qui était le point de repère, et non pas celle du jugement d'ouverture (P. ROBERT, Le point de départ du délai de la prescription en matière de banqueroute, JCP 1967, I, n° 2053). La solution nouvelle est une conséquence de l'abandon de la faillite virtuelle voulue par le législateur de 1985. On remarquera que la répression de la banqueroute est facilitée : c'est le jour où la décision de justice a acquis force de chose jugée qui est pris en compte, ce qui a pour conséquence de retarder davantage encore le point de départ du délai de prescription. S'agissant du moment de la prise en considération des actes répréhensibles, l'art. L. 654-16 du Code de commerce fait référence à la date où ces actes sont non pas commis mais « apparus »..., ce qui est significatif d'une certaine contamination de l'infraction de banqueroute par celle d'abus de biens sociaux (M.-C. SORDINO, Le délit de banqueroute, Litec, 1996, n° 223). Le fait que la prescription puisse être retardée n'est pas nécessairement critiquable, le retard étant parfois légitime. Lorsqu'il ne l'est pas, il en va autrement dans la mesure où le juge pénal ne saurait interpréter extensivement les textes. Certes, les impératifs de la répression doivent être pris en considération, et cela peut aboutir à l'adoption de règles dérogatoires, mais c'est alors au législateur d'intervenir.

D'ailleurs, dans un souci de réalisme et d'efficacité, le législateur retarde quelquefois le délai de prescription. D'abord, pour l'organisation frauduleuse d'insolvabilité, c'est le jour de la condamnation à laquelle le dirigeant a voulu se soustraire qui est retenu, ou s'il est postérieur, celui du dernier acte ayant pour objet cette organisation (M. CULIOLI, Rép. pén. Dalloz, v° Insolvabilité frauduleuse, n° 124). Ensuite, en matière de sécurité sociale, pour le non-paiement des cotisations, le délai de prescription court à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant l'avertissement ou la mise en demeure du débiteur (Art. 244-7 Code de Sécurité sociale). Enfin, pour l'usure, c'est le jour de la dernière perception d'intérêt ou de capital (Art. L. 341-50 Code de Consommation) alors pourtant que c'est un délit instantané, puisque l'infraction est réalisée par les taux fixés par la convention initiale (CA Paris, 11 janv. 1982, Gaz. Pal. 1982, 1, Jur. p. 131, note J.-P. Marchi). Le point de départ du délai de prescription est quand même retardé car les actes d'exécution sont considérés comme des infractions successives, qui donc se renouvellent à chaque règlement effectué par la victime; toute nouvelle perception postérieure étant génératrice d'un délit distinct (Cass. crim., 15 mars 1994, Gaz. Pal. 1994, 1, Somm. p. 313), cela permet de préserver les droits de l'emprunteur (W. JEANDIDIER, Droit pénal des affaires », 7e éd., DALLOZ, 2012, n°145).

Cette politique législative peut être critiquée sur le principe, mais elle ne heurte pas les garanties fondamentales de la matière pénale puisque le retard est ainsi légalisé. Cependant, dans toutes ces hypothèses, il ne s'agit que de simples retards : pour préoccupant que cela puisse paraître, de telles pratiques ne sont pas pour autant trop inquiétantes, encore que certains retards soient condamnables. En revanche, il existe des situations plus graves car les magistrats n'hésitent pas à différer plus largement la prescription. 

 

II. La prescription véritablement paralysée

Ici, ce n'est plus un simple retard que l'on peut observer par rapport au jour de la commission de l'infraction. Afin d'assurer une répression efficace, la prescription est très largement différée, de sorte que l'on est en présence d'une quasi-imprescriptibilité. Or, l'imprescriptibilité de l'action publique est une règle exceptionnelle, exclusivement réservée à des infractions d'une extrême gravité comme les crimes contre l'humanité. À l'évidence, ces crimes ne sont pas de même nature que les délits commis par le dirigeant et il n'y a aucune commune mesure entre ces divers comportements. Il y a une cohérence dans l'échelle des valeurs à protéger qui doit être respectée. C'est dire que la généralisation d'une quasi-imprescriptibilité de fait de l'action publique (A) que l'on observe en droit positif est critiquable, et une intervention législative destinée à mieux préciser les règles de la prescription devient une nécessité (B). 

 

A- La généralisation d'une quasi-imprescriptibilité 

Dans certains cas, en dépit du caractère instantané de l'infraction, le point de départ du délai de prescription de l'action publique est reporté de façon telle qu'une imprescriptibilité de fait est alors consacrée (Cass. crim., 15 avr. 1991, RJDA 1991, p. 602 ; 13 janv. 1970, Bull. crim., n° 20). En effet, les juges repoussent ce point de départ au jour où le délit est apparu ou aurait pu être objectivement constaté, et dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique : cette jurisprudence suscite des controverses, les critiques les plus vives portant principalement sur son caractère illégal et sur le risque d'arbitraire qui en découle, et subsidiairement sur le sens de la formule consacrée. 

L'illégalité de la jurisprudence a été mise en évidence (M.-L. RASSAT, Procédure pénale, 2e éd., ELLIPSE, 2013, n° 292). Cette pratique judiciaire est contraire au principe de la légalité et à son corollaire, l'interprétation stricte des textes de droit pénal. Les juges eux-mêmes ont rappelé, depuis longtemps et avec force, qu'ils ne peuvent procéder par voie d'extension ou d'analogie (Cass. crim., 8 sept. 1809, S. 1809/1811, 1, Jur. p. 106 ; 11 juin 1965, Bull. crim., n° 152 ; 7 mai 1969, D. 1969, Jur. p. 481) et qu'un texte répressif doit être interprété strictement (Cass. crim., 6 mai 1964, Bull. crim., n° 153). Le nouveau Code pénal indique d'ailleurs que la loi pénale est d'interprétation stricte (art. 111-4). Or, ce principe a été manifestement méconnu en matière de prescription. Les textes précisant que le point de départ du délai de prescription est le jour de la commission de l'infraction (Art. 7 s. c pr. pén.) sont clairs, et ne pouvaient donc pas, de ce fait, donner lieu à interprétation. Aucune analyse rationnelle ne peut légitimer une telle jurisprudence, d'autant plus qu'il n'est pas possible d'invoquer une quelconque lacune législative qu'il aurait été opportun de combler : le juge s'est ainsi substitué au législateur en élaborant une solution qu'il estimait préférable à celle retenue par la loi (C. FREYRIA, Imprescriptibilité du délit en droit pénal des affaires, JCP éd. E 1996, I, n° 563, n°3), ce qui est pour le moins surprenant, surtout en matière pénale. Une telle solution comporte aussi un risque d'arbitraire car toute infraction est plus ou moins susceptible d'être décelée (M.-L. RASSAT, op. cit, n° 292). Ce risque est d'autant plus préoccupant que la substitution de la découverte à la commission de l'infraction peut se généraliser, la liste des infractions en cause n'étant pas limitative. On peut le craindre, d'autant plus que la seule limite imposée par la Cour de cassation est que les juges du fond doivent énoncer les faits d'apparition et le constat de l'existence de l'infraction, la date ne devant pas être hypothétique (Cass. crim., 20 juill. 1977, Bull. crim., n° 267 ; 20 nov. 1978, inédit); c'est bien la moindre des choses, mais l'on observera que cette concession est de pure forme. Malgré tout, le point de départ du délai de prescription est à géométrie variable (M. DELMAS-MARTY, Droit pénal des affaires, op. cit., p. 211), une initiative à l’évidence critiquable.

La formulation même de l'exigence jurisprudentielle entraîne des difficultés quant au sens qu'il convient de lui donner. Pour certains auteurs, le délai de prescription part du jour où l'infraction est dénoncée au parquet (M.-A. FRISON-ROCHE, « Abus de biens sociaux : quelques règles de prescription », Le Monde, 6 janv. 1996, p. 11); pour d'autres, c'est plutôt à compter du moment où la malversation est connue (C. DUCOULOUX-FAVARD, Abus de biens sociaux : une prescription butoir pour qui, pour quoi ?, Petites affiches, 14 févr. 1996, p. 15). La première analyse semble plus séduisante car c'est bien à partir du moment où le ministère public est informé que l'action publique peut être déclenchée : la solution inverse revenant à faire courir le délai de prescription à partir du jour de son apparition rendrait inutile la précision apportée ultérieurement par la jurisprudence ; cette orientation répond d'ailleurs à une certaine logique, allant dans le sens d'une quasi-imprescriptibilité de l'action publique, ce qui la rend d'autant plus contestable. 

C'est autour de l'abus de biens sociaux que s'est cristallisé le débat sur la quasi-imprescriptibilité de l'action publique : cette infraction est sans doute la plus médiatique, mais ce n'est ni la première, ni la seule, à être concernée par le report du point de départ du délai de prescription. La première infraction qui a donné lieu à une telle solution est l'abus de confiance. Il y a soixante ans, la Chambre criminelle de la Cour de cassation décidait que si l'auteur d'une telle infraction dissimule ses détournements par des manoeuvres dilatoires, empêchant ainsi de constater les éléments de l'infraction, le délai de prescription ne court qu'à partir du moment où l'infraction est constatée (Cass. crim., 4 janv. 1935, Gaz. Pal. 1935, 1, Jur. p. 353 ; Rev. science crim. 1936, p. 86, obs. Carrive).

Depuis lors, la position de la jurisprudence n’a pas varié, et s'est même radicalisée : c'est au jour où le détournement est apparu et a pu être constaté que court le délai de prescription. Par la suite, afin de mieux servir encore les intérêts de la répression, la Chambre criminelle a précisé que le point de départ du délai de prescription de l'action publique doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté « dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » (Cass. crim., 6 oct. 1955, Bull. crim., n° 378). Cette solution s'explique par le caractère occulte et clandestin du délit : la partie poursuivante étant dans l'impossibilité d'agir en raison de son ignorance, le souci de sévérité et d'efficacité de la répression a conduit les juges à agir dans ce sens. Ceux-ci n'ont pas voulu courir le risque que de telles infractions soient découvertes longtemps après leur réalisation, lorsque la prescription est acquise. Mais la position de la jurisprudence est d'autant discutable que le principe de l'interprétation stricte des textes n'est pas respecté. Les textes font courir la prescription à compter du jour où l'infraction est consommée. Or, la dissimulation ne prolonge pas l'activité délictueuse, et la connaissance de cette activité n'a aucune incidence sur l'infraction. C'est dire que l'abus de confiance n'est pas une infraction continue, et ne peut être considérée comme telle par les juges car le principe de la légalité imposant que seul le législateur puisse déterminer les éléments constitutifs d'une infraction serait violé (A. TSARPALAS, Le moment et la durée des infractions pénales, thèse, Paris, 1966, p. 117). De plus, la référence à l'apparition de l'infraction est trop vague car on peut se demander si l'on doit prendre en compte la date du détournement ou celle du préjudice. 

D'autres infractions, pour des raisons similaires tenant à la clandestinité des faits, sont également concernées par la quasi-imprescriptibilité de l'action publique. C'est ainsi que concernant le détournement de gage, lorsqu’il a eu lieu sans dépossession (dans le cas contraire, l'abandon de l'objet remis en gage date le détournement : Cass. crim., 24 janv. 1968, Bull. crim., n° 24 ; JCP 1968, II, n° 15424), les juges ont étendu la solution retenue pour l'abus de confiance (CA Bordeaux, 9 oct. 1962, JCP 1963, II, n° 13128, note J. Larguier). Il en est de même pour la publicité trompeuse qui est pourtant une infraction instantanée (Cass. crim., 30 mai 1989, Bull. crim., n° 226). Outre la critique générale tenant au non-respect du principe de légalité, la règle consacrée par la jurisprudence paraît bien surprenante : d'une part, la publicité trompeuse fait partie des sanctions pénales du Code de la consommation qui traite aussi des fraudes et falsifications dont il est acquis que le point de départ du délai de prescription court le jour de la livraison et non pas de celui de la découverte de la tromperie (Cass. crim., 10 juin 1980, Bull. crim., n° 183) ; d'autre part, l'article L. 132-1 du Code de consommation précise que le délit est constitué par l'annonceur dès que la publicité est faite, reçue ou perçue en France, et la logique voudrait que la localisation du délit inspire la même solution temporelle (C. FREYRIA, art. préc., n° 7). La jurisprudence n'en a pas décidé ainsi, et la solution retenue peut, de plus, donner lieu à des résultats curieux dans l'hypothèse d'une double qualification : il est en effet possible de retenir pour les mêmes faits la qualification de publicité trompeuse et d'escroquerie (Cass. crim., 10 mai 1978, D. 1978, IR p. 348, obs. G. Roujou de Boubée), et alors le point de départ de la prescription sera différent. 

L'imprescriptibilité concerne aussi la banqueroute, du moins lorsque les faits répréhensibles sont postérieurs au jugement d'ouverture. Sous l'empire du droit antérieur la prescription courrait à compter du jour de la commission des faits infractionnels (Cass. crim., 25 févr. 1958, D. 1958, p. 373 ; JCP 1958, II, n° 10740, note P. Bouzat ; Gaz. Pal. 1958, 1, Jur. p. 378). Le législateur de 1985 s'est intéressé uniquement aux faits apparus avant le jugement d'ouverture.

Cependant, ce silence législatif ne saurait être analysé comme une volonté d'abandonner toute répression; même si la dépénalisation est dans l’air du temps, une telle analyse est inacceptable. Il s'agit de faits dont la gravité impose la poursuite, ce qui est d'ailleurs conforme à l'esprit de la dépénalisation puisque, si l'intervention du droit pénal doit être moins fréquente, elle doit en contrepartie être encore plus efficace lorsque la gravité des faits l'impose. Si donc on retient la nécessité de la répression, deux solutions sont envisageables : d'une part, par référence à la solution ancienne, on peut estimer que la prescription commence à courir au jour de la commission des faits ; d'autre part, par référence aux règles consacrées en matière de publicité trompeuse ou d'abus de biens sociaux, on peut penser que c'est le jour où les faits sont apparus qui doit être retenu comme point de départ du délai de prescription.

Une conception extensive paraît consacrée (F. DERRIDA, P. GODÉ et J.-P. SORTAIS, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, DALLOZ, 3e éd., 1991, n° 623), un parallèle étant fait avec des infractions comme l'abus de confiance ou l'abus de biens sociaux puisque l'idée que le fait répréhensible soit apparu « dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » a été avancée (J. LARGUIER, Droit pénal des affaires, 11e éd., Armand Colin, 2004, p. 428). Sans doute aurait-il été plus sage, s'agissant de la de la banqueroute, de s'aligner, non pas sur l'abus de confiance ou l'abus de biens sociaux, mais sur l'insolvabilité frauduleuse. Cela permettrait non seulement d'éviter une quasi-imprescriptibilité de fait peu compatible avec les principes fondamentaux, mais aussi de réaliser une unité de solution qui peut sembler logique (F. DERRIDA, P. GODÉ et J.-P. SORTAIS, op. cit., n°623).

C'est l'infraction d'abus de biens sociaux qui a suscité les plus vives controverses au regard de la prescription de l'action publique (J. LARGUIER, Le point de départ de la prescription en matière d'abus de biens sociaux, Mélanges Secrétan, 1964, p. 159 s.). Sans doute le développement actuel d'un contentieux très médiatisé mêlant politique et affaires n'est-il pas étranger à cet état de fait. 

Il reste que les règles jurisprudentielles extensives consacrées notamment en matière d'abus de confiance ont été étendues à l'abus de biens sociaux : d'abord, la Cour de cassation a retenu le jour où le délit est apparu et a pu être constaté; ensuite, elle a précisé que cette date devait s'entendre au jour où le délit est apparu et a pu être constaté « dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » (Cass. crim., 10 août 1981, Bull. crim., n° 244), sa détermination relevant en outre du pouvoir d'appréciation souverain des tribunaux, ce qui peut présenter le risque d'un certain arbitraire même si les pouvoirs des juges du fond sont quelque peu tempérés par le fait que la date où le délit est apparu et a pu être constaté ne doit pas être hypothétique. 

Les raisons de l'extension jurisprudentielle sont diverses. C'est, naturellement, la clandestinité des faits qui imposait une telle attitude. Mais cette approche n'est pas totalement satisfaisante car la jurisprudence reporte aussi le point de départ du délai de prescription même si les agissements ne sont pas clandestins (CA Paris, 12 janv. 1965, D. 1965, Jur. p. 690 note F. Goré). C'est dire que la notion de clandestinité ne peut, à elle seule, justifier le régime dérogatoire relatif à la prescription de sorte qu'en l'absence d'autres explications la solution jurisprudentielle paraît bien controversable puisqu'elle traduit un certain arbitraire judiciaire contraire aux grands principes. L’on observera - ce qui traduit une certaine gêne - que les juges ont tenté de justifier les solutions particulières en visant la nature spéciale de l'abus de biens sociaux, son existence ne pouvant être constatée que par la réalisation de circonstances extérieures à son exécution.

Cependant, l'explication n'est guère convaincante en raison de sa trop grande imprécision. Il a également été mis en évidence que l'instantanéité de l'infraction n'est pas aussi claire qu'on pourrait le penser (J. LARGUIER, op. cit., p. 159), mais le caractère instantané de l'abus de biens sociaux ne peut être contesté (la jurisprudence l'admet sans équivoque, et seule une décision ancienne et isolée est allée en sens contraire : T. corr. Seine, 31 oct. 1963, Gaz. Pal. 1964, 1, Jur. p. 173), de sorte que le fait que ce délit puisse être commis à l'occasion de relations contractuelles qui sont continues n’a aucune incidence sur les données du problème. 

De plus, tout comme pour l'abus de confiance, apparaît ici le risque d'un dédoublement du point de départ de la prescription en fonction des différentes catégories de victimes. Selon les situations et les pouvoirs d'investigation des victimes, l'usage abusif peut apparaître à des dates différentes (il a été observé que l'on peut retenir : pour le conseil d'administration, le jour de la réunion où le détournement est passé en écritures comptables ; pour les actionnaires, le jour de la réunion de l'AG ordinaire pour l'approbation des comptes et l'examen du bilan ; pour les créanciers lésés, la date du dépôt de bilan ou les investigations de l'administrateur judiciaire : M. DELMAS-MARTY, t. 1, op. cit., p. 211). La notion d'ignorance des agissements infractionnels paraît ainsi bien relative, et c'est à l'égard des mêmes parties que deux points de départ du délai de prescription peuvent être retenus (G. SOUSI, Le délit d'abus des biens et du crédit de la société, Mémoire DESS Lyon, 1970, p. 185). Une telle pluralité de délais est inacceptable, et dans ces conditions, si le souci de la répression doit primer, mieux vaut supprimer purement et simplement la prescription (A. CHAVANNE, Travaux Assoc. Capitant, 1967, p. 140). 

Ainsi, la solution jurisprudentielle est particulièrement déconcertante sur le plan des principes. De plus, l’on peut difficilement s’expliquer les différences de régime avec d'autres infractions liées aux affaires dont la recherche est tout aussi difficile et qui pourtant donnent lieu, soit à un simple retard de la prescription , soit à l'application des règles classiques. C’est le cas du délit d'ingérence dont la prescription court du jour de la prise d'intérêt (Cass. crim., 13 déc. 1972, Bull. crim., n° 391 ; 4 déc. 1990, Bull. crim., n° 413), et de la corruption qui se prescrit, non pas le jour de la révélation des faits délictueux mais à compter de celui de la perception illicite des dons; c'est encore la perception qui est déterminante pour fixer le point de départ de la prescription du trafic d'influence (Cass. crim., 12 déc. 1989, Bull. crim., n° 474). D'ailleurs, exception faite de l'abus de biens sociaux, le droit pénal des sociétés se caractérise par une application raisonnable des règles de la prescription : le délit d'abus de pouvoirs est réputé consommé le jour où il a été fait usage des voix et votes émis ; la majoration frauduleuse des apports en nature l'est le jour où l'apport est approuvé par l'assemblée générale; pour la distribution de dividendes fictifs, c'est le jour où le dividende est mis à disposition des actionnaires ; enfin, c'est au jour de l'opération matérielle de négociation d'actions que le délit de négociation irrégulière est constitué (C. FREYRIA, art. préc., n° 6). 

Pour d'autres infractions d'affaires, et malgré des hésitations traduisant certaines tentations vers une quasi-imprescriptibilité, des solutions plus raisonnables ont été finalement retenues. Il en est ainsi pour la présentation ou la publication de comptes inexacts : dans un premier temps, les juges avaient pris l'habitude de reporter le point de départ du délai de prescription au jour de la constatation du délit, mais la Chambre criminelle a imposé une application plus stricte des règles de droit en précisant que le délit étant instantané, le délai de prescription commence à courir dès la publication ou la présentation des comptes (Cass. crim., 18 mars 1986, Bull. crim., n° 109 ; Rev. sociétés 1987, p. 85, obs. B. Bouloc ; 9 juill. 1996, D. 1996, IR p. 220). La solution est d'autant plus remarquable que la seule lecture d'un bilan ne permet pas forcément de voir sa fausseté. Concernant les délits de faux et d'usage de faux, cette même juridiction a dû rappeler que ces infractions étant instantanées, la prescription commence à courir, non pas du jour de la découverte de l'existence de l'écrit argué de faux, mais de celui de l'établissement du faux pour la première infraction et du jour du dernier usage délictueux pour la seconde : la précision s'imposait dans la mesure où une certaine dérive tendait à apparaître (Cass. crim., 3 mai 1993, Bull. crim., n° 161). Enfin, la Chambre criminelle s’est opposée au retardement du point de départ du délai de prescription en matière de fraudes et de tromperies (CA Rouen, 17 janv. 1979, JCP 1979, II, n° 19182, note M.-L. Rassat ; Cass. crim., 10 juin 1980, Bull. crim., n° 183), à moins que le délit ne repose sur un contrat à exécution successive (Cass. crim., 21 nov. 1983, Bull. crim., n° 303 ; JCP 1984, II, n° 20267, concl. Clerget, note Boccara). 

Dans le domaine des affaires, comme ailleurs, les impératifs de la répression doivent être pris en considération, et il faut se garder de tout angélisme dont seraient prompts à profiter les délinquants. Mais le respect du principe de la légalité s'impose aussi avec force : cette pratique judiciaire tendant à rendre, de fait, certaines infractions du dirigeant imprescriptibles est de ce point de vue critiquable. Sans doute les juges peuvent-ils être animés de bonnes intentions mais, si la répression doit être efficace, cela doit se faire dans le respect des principes fondamentaux, et en particulier de la légalité : c'est pourquoi, si les règles de la prescription doivent être aménagées, ce n'est pas aux juges mais au législateur d'intervenir. 

 

B-  La nécessaire rethéorisation du régime pénal du chef d’entreprise dans les infractions d’affaires

La prescription des infractions d’affaires, telle qu'elle a évolué dans notre droit positif, est marquée par une irréductible contradiction : d'un côté, elle existe, de l'autre, tout est fait pour ne pas avoir à l'appliquer. Il s'ensuit, notamment pour le chef d’entreprise, un régime compliqué, incohérent, manquant de lisibilité autant que de prévisibilité. Le régime de cette prescription n’est qu’un des révélateurs du statut pénal élaboré sur mesure pour le dirigeant. 

En l’état, la rethéorisation de ce statut est une nécessité pour des raisons relevant tant de la nécessité d’une politique criminelle conforme à la philosophie intrinsèque du droit pénal que du strict respect du principe de la légalité criminelle.

D’une part, il est souhaitable de définir un régime général de la prescription en limitant autant que faire se peut les exceptions visant plus spécifiquement le dirigeant d’entreprise. Cela n'exclut pas une prescription longue pour les infractions les plus graves commises par ce dernier, mais justifie que celle-ci étant admise, il ne soit pas recouru à des artifices pour la rendre encore plus longue. Nous ne regardons toutefois pas comme un artifice la prise en compte par le juge d'actes revêtant un caractère suspensif ou interruptif. 

D’autre part, il est indispensable de concilier la nécessité de rendre justice à la victime et celle de prendre en compte le problème pratique posé par le temps écoulé. En effet, quoi qu'on puisse en dire, le temps reste fatalement un obstacle à la manifestation de la vérité, quel que soit par ailleurs le besoin de justice exprimé par la société. 

Dans tous les cas, les délits commis par le dirigeant doivent se prescrire au bout d'un certain temps. Pour ce qui est du point de départ du délai de prescription, une solution raisonnable consiste à faire une distinction selon qu'il y a eu ou non dissimulation de l'acte délictueux. Si ce n'est pas le cas, l'application des règles classiques s'impose : c'est le jour où les faits ont été commis qui est le point de départ du délai de la prescription. Il n'y a, en effet, aucune raison pour ne pas appliquer strictement les dispositions générales des articles 7 et suivants du Code de procédure pénale. 

En revanche, s'il y a dissimulation, c'est-à-dire si les manoeuvres du chef d’entreprise ou son attitude dilatoire ont caché l'acte infractionnel, le législateur doit prévoir des règles dérogatoires. Dès lors que le dirigeant a pris quelques initiatives afin de garder secrète l'infraction pour éviter des poursuites, le point de départ du délai de la prescription doit être fixé au jour où les faits sont apparus ou constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Mais si trois ans ou plus se sont déjà écoulés depuis les faits, ce délai doit être de un an. En effet, compte tenu du caractère tardif de la révélation, les autorités de poursuite doivent réagir rapidement. Dans le cas contraire, le délai serait de un an, plus le temps non encore écoulé pour atteindre les six ans. Cependant, il faut éviter toute imprescriptibilité de fait en prévoyant un « délai butoir » équivalant par exemple à celui de la prescription de l'action publique en matière criminelle. C'est dire que passé ce délai, l'infraction est prescrite en toute hypothèse. Ainsi, le « délit d'affaires caché » serait assimilé à un crime de droit commun au regard des règles de la prescription : cela permet une répression efficace et mesurée tout en favorisant une pédagogie de la responsabilité en matière de criminalité d'affaires. On remarquera aussi que les droits des victimes sont sauvegardés puisque, par application du droit commun, l'action civile se prescrit au bout de trente ans. C'est dire qu'une prolongation démesurée de la vie de l'action publique ne présente même plus l'utilité de protéger les intérêts des victimes. 

 

Gérard VILON GUEZO

Avocat à la Cour